
Les années 50 sont une période difficile pour Maurice Dekobra, pur produit vieillissant des Années Folles dont le discours libertin et élitiste peinait à retrouver, après la Seconde Guerre Mondiale, son lectorat frivole.
Après quelques livres néanmoins bien ficelés, publiés aux Éditions du Scorpion, Maurice Dekobra signa à la fin de la décennie trois romans pour le compte de la S.N.E.V. (Société Nouvelle des Éditions Valmont) qui ont peiné à trouver leur public, dont deux récits "américains" qui tentaient pourtant de renouer avec le succès de « Mon Coeur Au Ralenti ».
« Le Lys Dans la Tempête » (curieusement orthographié "Lis" dans le texte et sur la page de titre) est le premier de ces romans "américains". L'héroïne, Valérie Bourgès, est une jeune employée de banque partie en vacances sur la Riviera avec ses amies et collègues. C'est une fille absolument sublime, mais sage, dénuée d'ambition et jugeant qu'elle a bien le temps de trouver l'amour. Ses amies l'incitent à s'encanailler, mais la jeune femme préfère passer ses soirées au camping à lire sous la tente. Pour lui faire une farce autant que parce qu'elles jugent qu'elle y a toutes ses chances, ses amies l'inscrivent en cachette à un concours de beauté local. Valérie bougonne un peu, mais accepte finalement d'y participer, persuadée qu'elle ne risque guère d'être élue. Bien évidemment, elle fait un triomphe et est couronnée du titre de Miss Estirel.
Aussitôt un businessman américain l'approche, et lui propose de venir à Hollywood afin d'y être lancée comme actrice. Quelques renseignements pris auprès des journalistes présents l'informent effectivement que l'homme est bel et bien un "chasseur de nouvelles têtes" grassement payé par Hollywood. Pour la petite employée de banque timorée, c'est une soirée hautes en émotions. Elle est tentée de s'enfuir et de rentrer à Paris, mais tout le monde autour d'elle l'enjoint à accepter la proposition de l'homme d'affaires américain, ne serait-ce que parce qu'une opportunité comme celle-ci ne se représentera jamais, et que Valérie, en s'y refusant, risque de passer sa vie à regretter d'avoir laissé passer une telle occasion. La belle se laisse convaincre, un peu malgré elle tout de même...
Une semaine plus tard, Valérie Bourgès s'envole donc pour Hollywood, où bien entendu, elle va vivre d'abord de sérieuses désillusions : sur la Riviera, elle était Miss Estirel, mais à Hollywood, elle n'est qu'une starlette parmi des milliers d'autres, qui plus est sans aucune expérience d'actrice. Le producteur auquel l'homme d'affaires l'a envoyé est un vieillard lubrique qui ne négocie ses placements d'actrices qu'en échange de faveurs sexuelles. Valérie s'y refuse, et se retrouve donc sans contrat, et sans aucun appui. Elle sympathise avec deux acteurs de seconde zone qu'elle a eu l'occasion de rencontrer sur place, dont un jeune premier, Jimmy Mitchell, qui s'éprend très vite d'elle et la confie à son agent artistique, Ralph Higgins. Celui-ci lui propose d'abord des roles de figuration que Valérie, peu consciente que la gloire est un long et douloureux chemin, refuse avec dédain. Agacé, Higgins lui propose alors un rôle de doublure pour une comédienne célèbre à qui elle ressemble comme une soeur, Constance Roggers. Finalement, après qu'Higgins ait menacé de la laisser tomber face à son air dubitatif, Valérie accepte.
Mais si Constance Roggers veut une doublure, cela n'est pas exactement pour un film. L'actrice est sous la coupe de maîtres-chanteurs qui exigent d'elle une grosse somme d'argent, sinon ils se chargent de la kidnapper. Constance n'a pas l'intention de payer, mais elle mesure toute la publicité que l'affaire peut lui valoir. Elle persuade Valérie de prendre sa place, lors de la remise de la rançon à la bande de kidnappers. Elle compte sur le fait que Valérie ne leur remettant qu'une somme dérisoire, les gangsters vont la kidnapper, persuadés d'avoir affaire à la vraie Constance Roggers. Celle-ci n'aura alors plus qu'à faire une conférence de presse, et révéler que c'est sa doublure, et non elle-même, qui aura été enlevée. Les gangsters libèreront alors leur proie sans valeur, et la publicité sera énorme, tant pour Constance Roggers que pour sa courageuse doublure.
Evidemment, Valérie dans un premier temps se refuse à risquer sa vie dans une histoire pareille, mais Constance Roggers sait se faire persuasive : la publicité à Hollywood, c'est un passe-droit extraordinaire. Un nom imprimé dans les journaux, et présenté comme victime dans une affaire criminelle, voit sa valeur marchande décuplée. Valérie songe qu'effectivement, cela résoudrait tous ses problèmes et ça lancerait enfin sa carrière. Elle accepte donc de jouer ce jeu dangereux...
Hélas, si les choses se passent comme prévu, les gangsters comprennent eux aussi que cette figurante française bénéficie de la publicité de son enlèvement, et donc qu'elle a désormais une valeur. Non seulement ils ne la relâchent pas, mais ils exigent une forte rançon, faute de quoi ils l'exécuteront.
Constance est atterrée par sa propre inconscience. Elle ne dispose pas de la somme demandée. Quant aux producteurs et aux studios d'Hollywood, vers lesquels elle se tourne, ils estiment, non sans raison, que cette Valérie Bourgès n'est sous contrat avec personne, et que sa mort n'éclaboussera que Constance elle-même, laquelle se retrouve prise au piège qu'elle voulait tendre.
D'abord furieux contre l'actrice, Jimmy Mitchell s'associe avec elle puis avec la police américaine (apparemment très sensible au bénévolat) pour tenter de délivrer Valérie. Heureusement, tout finira par un mariage entre Valérie et son Jimmy. Comme prévu, un film sera tourné sur ce kidnapping, et les producteurs et les studios qui s'étaient détournés se verront obligés de payer une fortune pour disposer des acteurs et des droits de diffusion...
Comme on le voit, « Le Lys Dans la Tempête » est une bluette grossière pour adolescentes, teintée de polar noir, qui ne risquait guère de passionner des lectrices de plus de 14 ans. Comme souvent chez Dekobra, rien n'est crédible. C'est bien la peine d'être un grand voyageur qui a visité tous les pays du monde (ce dont il se vante bien inutilement en quatrième de couverture), si c'est pour bâtir des intrigues qui ne tiennent pas debout un seul instant.
Certes, la description du milieu hollywoodien et de la mentalité arriviste qui y règne est assez bien rendue, avec d'ailleurs une discrète ironie que toutes les lectrices n'ont pas dû saisir. Grand amateur de polars américains, Maurice Dekobra connaît suffisamment les clichés du genre pour trouver le style et le rythme qui font basculer le petit conte de fées moderne dans un polar façon Lemmy Caution. De même, il sait insuffler à ses lectrices le goût des rêves de gloire sans cacher les vices, les rivalités et les corruptions qui attendent la jeunesse candide sur le parcours de la célébrité. Malgré tout cela, son roman laisse tout de même entendre que la réussite repose sur des prises de risque inconsidérées et sur la nécessité de se corrompre pour tenir la dragée haute aux autres corrompus. Certes, Valérie Bourgès ne négocie pas sa carrière sur un canapé avec un vieillard, mais elle le fait en risquant sa vie face à des bandits pour avoir un peu de publicité. Est-ce que c'est plus recommandable, au final ? Dekobra semble penser que oui, mais il y aurait là, à mon sens, matière à débat...
Comme on s'en doute, ce roman n'a pas vraiment été un best-seller. Il faut dire qu'on ne sait trop ce qui a passé par les têtes de Maurice Dekobra et de son éditeur : ce livre s'adresse tout de même à un public très juvénile, bercé de films hollywoodiens, ce qui n'était ni la spécialité de l'auteur (alors septuagénaire), ni celle de sa maison d'édition. De plus, l'illustration de couverture évoque plus volontiers une actrice hollywoodienne des années 1920-1930. Nous étions quand même en 1959, et les modes et les coiffures étaient un peu différentes, une ado ne pouvait pas s'y tromper...
Bref, on serait tenté de voir derrière ce roman un drame du gâtisme, si Maurice Dekobra ne restait, même à cet âge avancé, un narrateur chevronné, qui avait perdu en folie ce qu'il avait gâgné en efficacité. Certes, son intrigue ne tient pas la route, mais il fait tout pour la rendre cinématique et envoûtante. Moins verbeux et lyrique que dans sa jeunesse, il se montre ici en professionnel soigneux du roman populaire, il colle au style policier des années 50, il aborde la jeune génération avec une idée juste et précise de l'image qu'elle se fait d'elle-même. Poupée inconsistante et paradoxale, sa Valérie Bourgès est conçue pour servir de réceptacle élastique et ajusté à l'identification de toutes ses lectrices. Les vieux cochons sont très cochons, les voyous sont très voyous, le jeune premier est idéal : tous les repères des rêveries à peine pubères sont à leur place. Il y avait là, sur mesure, de quoi faire rêver celles qui pleuraient encore la mort de James Dean. Mais il est peu probable qu'elles aient été très nombreuses à avoir l'occasion d'y sécher leurs larmes ou d'y découvrir de nouveaux frissons...
Néanmoins, malgré son insuccès et, reconnaissons-le, son caractère fort peu convaincant, « Le Lys Dans la Tempête » se laisse doucement lire, et fixe assez bien ce que pouvait être l'imaginaire d'une jeune fille française des années 50, gavée de cinéma et de romans policiers. À ce titre, on peut trouver à ce roman un vague intérêt historique, à condition toutefois de ne pas être trop exigeant sur l'aspect socio-culturel.
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