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FREDERICK ALBERT MITCHELL-HEDGES - «  Des Ruines Mayas aux Repaires de la Flibuste » (1954)

  • Photo du rédacteur: Dorian Brumerive
    Dorian Brumerive
  • il y a 5 jours
  • 11 min de lecture

Personnage hors du commun et ambigu au-delà de l'imaginable, Frederick Albert Mitchell-Hedges était un explorateur anglais ayant fait fortune aux États-Unis en faisant financer par des mécènes privés une grande quantité de voyages archéologiques dans diverses régions du monde plus ou moins explorées, principalement en Amérique du Sud, afin d'y faire des fouilles et des explorations inédites, dont la plus célèbre découverte reste un crâne de cristal grandeur nature, prétendument découvert au Honduras en 1924, et qui serait vieux de 3600 ans. Cette trouvaille ne fut révélée au monde qu'en 1944, à une époque où la réputation et la crédibilité de l'explorateur commençaient à être sérieusement mise en doute. Car Frederick Albert Mitchell-Hedges était en réalité un escroc et un mythomane, amateur d'aventures exotiques et de vacances au soleil, qui trouva un filon extraordinaire en se fabriquant un personnage d'aventurier viril. En réalité, il achetait ses trouvailles archéologiques au marché noir des objets d'art ou même simplement dans des ventes aux enchères sur le vieux continent, quand il ne les faisait pas directement fabriquer par des artisans locaux. Il bluffa ainsi quantité de collectionneurs naïfs et de mécènes qui finirent par regretter la mauvaise publicité que leur crédulité leur valut. Mais entre 1924 et 1928, première fois où il dut poursuivre un journal britannique qui l'accusait d'escroquerie, il fut outre-Atlantique un héros et un modèle, avant que l'on finisse par douter sérieusement de lui. Vers la fin de sa vie, Frederick Albert Mitchell-Hedges, souffrant de sciatique et devant renonçcer désormais aux voyages en terre inconnue, publia quelques romans inspirés de ses souvenirs, ainsi qu'une biographie hautement farfelue, « Danger, My Ally » (1954), qui se révèle pourtant être un ouvrage grandement distrayant et psychologiquement fort intéressant, car il témoigne de la lutte narrative âpre d'un mythomane qui doit raconter comme véridique une existence totalement imaginaire, et forcément plombée par des lacunes, des non-dits, des incohérences et une absence totale de bagage universitaire. Comment passer pour un archéologue inspiré, quand on a arrêté les études à quinze ans ? Tout ce récit vise à relever cet impossible défi... Bien que toute l'Europe céda au charme de Frederick Albert Mitchell-Hedges, la France ne s'intéressa guère au phénomène de cet archéologue autodidacte. Seul la revue « Planète » de Louis Pauwels lui consacra quelques articles. Il est d'ailleurs possible que Frederick Albert Mitchell-Hedges soit également cité dans « Le Matin des Magiciens » (1960), le célèbre best-seller de Louis Pauwels et Jacques Bergier, qui tentait, avec le plus grand sérieux mais dans un délire total, de reconstituer une humanité et une spiritualité originelles et panthéistes, en listant et en comparant les folklores, les cultes, les ésotérismes et les arts premiers de toutes les civilisations. Mais n'étant jamais parvenu, pour ma part, à aller jusqu'au bout de ce roboratif tissu de fariboles, je ne peux pas le garantir. Seuls deux livres de Frederick Albert Mitchell-Hedges furent publiés en France, « Mes Combats Contre Les Monstres Marins » en 1951, dans la très intéressante collection exotique de Payot, et son autobiographie « Danger, My Ally », sous le titre « Des Ruines Mayas aux Repaires de la Flibuste », publiée en 1957 par les redoutables éditions France Empire, portées par Yvon Chotard, très populaire éditeur catholique et bonapartiste, et qui furent le tremplin rêvé pour tous les mythomanes et les illuminés de la deuxième moitié du XXème siècle. Néanmoins, aucun de ces deux livres ne connût le moindre succès, ce qui fit que Frederick Albert Mitchell-Hedges fut oublié en France avant même d'être célèbre. Et pourtant, cette autobiographie, malgré les inévitables défauts inhérents à un récit écrit par quelqu'un qui n'est pas écrivain, en raconte bien plus sur cet étonnant personnage qu'il ne voudrait lui-même en dire. Né en 1882 dans une morne banlieue de Londres, il est l'aîné des trois enfants d'une famille bourgeoise, qu'il présente comme propriétaire d'une grande manufacture de cigares. Premier mensonge : son père est en réalité courtier en or, en bijoux et en objets d'art. Le jeune Frederick y puisera d'ailleurs un amour tout à fait matérialiste pour les antiquités précieuses, dont il se fera sur le tard trafiquant, un peu à l'image de l'explorateur français Henry de Monfreid. Les rapports du jeune Frederick Hedges avec son père semblent avoir été très difficiles, tant ce dernier espérait faire de Frederick son héritier légitime, rôle qui fut dévolu finalement en 1934 à son frère cadet George. Frederick pris très tôt l'habitude de rajouter au nom de son père, Hedges, le nom de sa mère, Mitchell. Celle-ci semble avoir été très protectrice envers le jeune Frederick et a nourri son imaginaire en lui offrant quantité de romans d'aventures anglais signés par Henry Rider Haggard, Robert Louis Stevenson, Conan Doyle et Charles Kingsley. Sans surprise, l'influence de ces prestigieux conteurs se fait sentir dans les nombreux souvenirs mythomanes de Frederick Albert Mitchell-Hedges, ce qui n'aide pas à y croire longtemps, d'autant plus que l'auteur n'hésite pas à paraphraser certains passages de romans pour y puiser un prétendu souvenir. Ainsi, Mitchell-Hedges décrit à un moment un duel d'iguanes auquel il assiste en copiant ouvertement le chapitre du combat de dinosaures dans le « Voyage au Centre de la Terre » de Jules Verne. On l'aura compris : il vaut mieux lire « Des Ruines Mayas aux Repaires de la Flibuste » comme une œuvre de fiction, plutôt que comme une autobiographie. D'ailleurs, sur lui-même, Frederick Albert Mitchell-Hedges ne dit pas grand chose. Sa vie personnelle et familiale est une énigme dont il ne révèle souvent que des fausses pistes. Il ne parle pas ici de ses deux frères (dont l'un, entomologiste, fut le complice chargé d'acheter les futurs vestiges soi-disant déterrés), ni de sa sœur (au destin inconnu). Il exprime ponctuellement son dégoût du sexe avec les femmes, et tient souvent à rappeler qu'à chaque fois qu'il a eu l'opportunité de faire une conquête, il s'en est soigneusement détourné. On comprend vite pourquoi. Si en effet, Frederick Albert Mitchell-Hedges s'est marié à seulement 24 ans avec Lilian Clarke, dont on ignore comment il l'a rencontrée, les deux époux n'ont jamais véritablement habité ensemble, sauf à la toute fin de leur vie, et en continuant à faire chambre à part. Dans son autobiographie, Mitchell-Hedges s'excuse d'ailleurs auprès de son épouse d'avoir dû si souvent la négliger tant il était perpétuellement en voyage. Cependant, en réalité, Lilian semble avoir eu un rôle très proche de son mari, en étant l'amante régulière de ses amis les plus fortunés et même de certains mécènes. Le goût des voyages serait venu à Mitchell-Hedges à l'âge de 15 ans, grâce à un ami de son père, George Brooke Mee, trafiquant d'art, qui l'embarqua dans une longue virée en Norvège. En réalité, là aussi, ce voyage n'eut jamais lieu, et s'l n'est pas exclu que George Brooke Mee ait pu, par son expérience de trafiquant, donner envie au jeune Frederick de voyager, il est certain qu'il fut son initiateur dans un domaine bien plus intime. En effet, l'homosexualité de Frederick Albert Mitchell-Hedges, jamais avouée mais omniprésente dans son autobiographie, définit une grande partie de ses actions, de ses choix, mais aussi de ses délires mythomanes, qui, sans être ouvertement gays, impliquent assez souvent des hommes virils, charismatiques, dominateurs, qui exercent, physiquement ou intellectuellement, un pouvoir ou une emprise sur l'auteur, que celui-ci subit avec une complaisance masochiste. Ainsi, ses premières aventures à New York, en 1917, où il exerça effectivement le métier de courtier, sont elles l'occasion de fréquenter des boursiers joueurs de pokers qui vivent sans femmes à leurs côtés, et dans une ambiance virile et compétitive, au milieu de laquelle Mitchell-Hedges ne cache pas son plaisir à leur servir parfois de souffre-douleur. De même, Frederick qui est toujours paniqué à l'idée de dormir dans une pièce avec une femme, n'hésite pas à installer dans son appartement, un petit juif soviétique aux idées révolutionnaires qui n'a nulle part où loger. Si Mitchell-Hedges n'adhère pas à ses convictions, il est fasciné par sa détermination, et va vivre deux mois avec lui, sans d’ailleurs que ses collègues boursiers s'étonnent le moins du monde de cette mise en ménage. À noter que ce petit juif, nommé Bronstein, n'était autre que Léon Trotsky, qui effectivement à vécu deux mois à New York entre janvier et mars 1917, mais il est vraiment très peu probable qu'il ait dormi chez Frederick Albert Mitchell-Hedges. Enfin, le plus gros fantasme homosexuel de l'auteur, c'est sa capture au Mexique par les révolutionnaires de Pancho Villa, qui le prennent pour un américain, et le font prisonnier dans un camp où il est enfermé, ligoté, houspillé, - autant d'anecdotes qu'il conte sans amertume, tant ces « machos » mexicains sont beaux quand ils sont en colère. Frederick finit par se faire remarquer par Pancho Villa lui-même qui le libère, l’installe dans sa cahute (hum, hum...) et en fait son bras droit (et plus, si affinités). Néanmoins, Frederick finit par le quitter, car Pancho boit beaucoup trop le soir, et s'endort ivre mort – et forcément, il n'est plus bon à rien, dans cet état-là... Que l'on se rassure néanmoins avant de revoir nos cours d'Histoire : tant les biographes de Mitchell-Hedges que ceux de Pancho Villa se sont penchés sur cette anecdote pour en chercher des traces historiques, et bien évidemment, tout cela n'est jamais arrivé. Si des doutes subsistent sur l'homosexualité de Frederick Albert Mitchell-Hedges, de nombreuses remarques fort esthétiques sur les jeunes garçons sud-américains ou sur les jeunes indiens glabres, ajoutées à des préoccupations politiques récurrentes sur le futur des jeunes garçons anglais (les femmes n'ont donc pas d'avenir au Royaume-Uni ?) ne laissent vraiment planer aucune incertitude... Et pourtant, il y a eu des femmes dans la vie de Frederick Albert Mitchell-Hedges : des femmes dont il parle peu, dont il minimise la place dans sa vie, mais dont certaines resteront pourtant avec lui jusqu'au bout. Il aurait notazmment eu un fils illégitime en 1914, à son retour à Londres, avec une certaine Mary Stanners dont il ne parle pas dans son autobiographie. Mais deux autres femmes ont été les piliers de sa vie, deux femmes qui n'ont sans doute jamais été ses maîtresses, mais qui l'ont accompagné dans tous ses voyages, et qui semble avoir été, en quelque sorte, ses « meilleurs potes ». Il y a d'abord Lady Richmond Brown, dont on ne sait ni où et quand il l'a connu, mais qui sera sa compagne de voyage de 1921 (où il la présente publiquement comme une « vieille amie ») jusqu'à la mort de cette dernière en 1946. Frederick la désigne dans son autobiographie sous le sobriquet de « Mabs ». Mariée à un obscur baronnet qui la laissa vivre sa vie, elle aimait les voyages, participait financièrement à l'organisation de ceux de Frederick, et se prétendait de noblesse française, bien que son vrai nom, Roussel de Rohais, n'existe pas parmi nos grandes familles. Elle était vraisemblablement mythomane, elle aussi, et son mari britannique, vraisemblablement trompé sur ses origines, finit par la contraindre au divorce en 1931. Et il y a aussi Anne-Marie Le Guillon, la mystérieuse fille adoptive de Mitchell-Hedges, dont il donna, au cours des années, des versions très différentes quant aux circonstances de son adoption. Il est en tout cas établi qu'il la ramena en 1924 d'un long séjour au Québec à la suite de la mort brutale d'un ami qui devait être son compagnon du moment, et qui, on ne sait comment, était le seul parent d'Anne-Marie. Par ailleurs, Anne-Marie avait déjà 17 ans en 1924, et n'avait pas vraiment besoin d'être adoptée. Elle prit néanmoins par la suite le nom d'Anna Mitchell-Hedges et fut l'unique héritière de Frederick. Son existence en tant que telle ne fut néanmoins pas révélée au public avant 1934, soit au bout de dix ans. Dans ses mémoires, Frederick lui donne le sobriquet de « Sammy ». Il y aurait d'ailleurs des questions psychologiques à se poser sur la tendance de ce mythomane à donner des sobriquets à tous ses proches, y compris à lui-même, puisque autant en public que dans son autobiographie, Mitchell-Hedges se fait constamment appeler « Mike » par toutle monde, sans que la raison en soit expliquée à aucun moment. Anna Mitchell-Hedges est censée être la personne qui découvrit le fameux crâne de cristal vieux de 3600 ans au Honduras en 1924. En réalité, ce crâne fut acheté en Angleterre en 1943 à une vente aux enchères de Sotheby's, et non seulement la trace de cette transaction, effectuée par Alfred Mitchell-Hedges, le frère cadet et entomologiste de Frédérick, fut aisément retrouvée, mais en plus, on peut déjà trouver des photos de ce crâne dans certaines revues d'art contemporain des années 30. Il n'empêche, Frederick Albert Mitchell-Hedges ne voulut jamais démordre de sa version, et après sa mort, Anna Mitchell-Hedges continua à assurer l'origine trois fois millénaire de cette sculpture, et refusa de confier le crâne aux scientifiquess qui voulaient faire une datation, et si elle n'hésita jamais à se faire photographier avec sa trouvaille légendaire, elle ne le confia jamais à personne. C'est seulement à sa mort, en 2007 (et oui, elle mourut centenaire) que des scientifiques purent déterminer que cette sculpture ne datait que des années 1920 ou 1930. Enfin, l'autre délice de cette autobiographie, c'est que Frederick Albert Mitchell-Hedges ne prétendit pas seulement avoir découvert des vestiges : il prétendit aussi avoir pris contact avec des tribus indiennes inconnues qui, en réalité, n'ont jamais existé. Mais comme il fallait aller sur place pour le vérifier, ça ne coûtait pas grand chose de garantir leur existence auprès du public américain. Aussi, ces quelques tribus imaginaires, hâtivement baptisées du nom de la rivière la plus proche de l'endroit où elles sont censées vivre (Chucunaques, Krutas, Sambitos) font l'objet dans cette autobiographie d'une très complète description de leur mœurs, improvisées par quelqu'un qui n'y connaît rien en ethnologie, et forcément, c'est d'une drôlerie tout à fait réjouissante où se rencontrent des offrandes de Vierges, des rituels ressemblant à des jeux anglais, des rites nuptiaux complètement déments (dont l'un qui consiste à briser de toutes ses forces une écuelle d'argile sur la tête de la jeune fille que l'on veut prendre pour époux), des rites funéraires totalement absurdes... Autant de trouvailles plus spectaculaires que crédibles qui, ajoutées avec le bestiaire farfelu d'un auteur-explorateur, qui n'est pas non plus zoologue, nous fait côtoyer des requins de 8 mètres de long, des poissons-scies qui se servent réellement de leur nez pour tenter de scier les bateaux, des crabes de la taille d'un homme, des batailles d'iguanes à la manière de Godzilla, etc, etc... « Des Ruines Mayas aux Repaires de la Flibuste » est donc une très amusante fumisterie signée par un grand gamin immature qui a toujours trouvé qu'aussi loin qu'on aille, la réalité du monde ne valait pas tous les romans envoûtants de sa jeunesse. Aussi son autobiographie n'est-elle pas de celles où il faut savoir démêler le vrai du faux, car tout ou presque y est faux, sauf ce qui n'est pas explicitement dit. C'est bien plus la carte de l'imaginaire d'un vieux rêveur, dont les fantasmes personnels n'ont cessé de devenir un peu plus surannés au fur et à mesure que le temps a passé. Quoique fatalement pathétique, Frederick Albert Mitchell-Hedges reste attendrissant dans son délire, même si hypocritement, il garde le silence total sur tout le trafic qui l'a enrichi, et conserve une amertume un peu déplaisante envers les archéologues et ethnologues qui, durant des décennies, ont dénoncé ses escroqueries. Il leur reproche d'ailleurs bien injustement de n'avoir pêché leur science que dans des livres. Mitchell-Hedges, lui aussi, doit beaucoup aux livres qu'il a lus. Simplement, il n'a pas lu les mêmes. Bien qu'il soit désormais oublié et honni, à présent que sa mythomanie ne fait plus le moindre doute, Frederick Albert Mitchell-Hedges connut une touchante postérité, vu qu'il fut l'une des sources d'inspiration du personnage cinématographique d'Indiana Jones, et que la franchise a même inclus la trouvaille de sa vie dans le quatrième volet de la série, « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal », sorti en 2008. Cependant, les scénaristes ont préféré attribuer à ce crâne de cristal une origine extraterrestre à laquelle Frederick Albert Mitchell-Hedges n'avait lui-même pas songé. Comme quoi, même les mythomanes ont des limites dans l'extraordinaire.     Planches de l'autobiographie scannées et colorisées, grâce à l'application Palette :  { L'intégralité des oeuvres d'art qui sont reproduites ci-dessous sont des faux, ou des objets d'une autre époque que l'Amérique précolombienne, ou originaires d'un autre continent }


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