JEAN RAMEAU - « Moune » (1890)
- Dorian Brumerive
- 30 juin
- 12 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 14 heures

Célébrité culturelle du Sud-Ouest, emblème de la Gascogne et du département des Landes, d'où il était natif et où il passa l'essentiel de sa vie, Jean Rameau jouit de cette réputation sans tâche et de cette admiration sans borne que chaque région de France voue à son enfant célèbre du pays, et qui fait que le nom d'un auteur passe à la postérité, mais pas nécessairement son œuvre. C'est d'autant plus flagrant chez Jean Rameau qui, aussi gascon fut-il dans sa littérature, au point de mettre le plus souvent à l'honneur des personnages issus de son terroir, n'en était pas pour autant un auteur confortable. Aussi, les puristes mettent souvent en avant ses recueils de poésie, chantant les beautés de la nature méridionale, bien qu'ils soient peu nombreux et sporadiques. En effet, Jean Rameau était avant tout un romancier et un prosateur, auquel on doit plus de 60 romans et 5000 nouvelles, pas toutes reprises en recueils, publiés tout au long d'une carrière qui dépasse le demi-siècle. Jean Rameau avait même une formule, un concept, déclinable à l'infini, qui nourrit l'intégralité de son œuvre. Ses romans s'adressent avant tout à un public féminin, et portent souvent comme titres le nom ou plutôt le surnom de leur héroïne principale. Les intrigues sont relativement simples, et reposent sur la base immuable d'une histoire d'amour impossible, contrariée ou sacrifiée aux conventions morales ou à la religion. Le plus souvent, la psychose religieuse ou l'aversion pour le sexe s'empare de la raison de l'héroïne, laquelle, en voulant atteindre la pureté spirituelle ou en voulant garder intacte sa virginité, suit une voie qui blesse ceux qui l'aiment, et qui la conduisent rapidement au tombeau. Fervent républicain, Jean Rameau était de ces écrivains combattant la bigoterie rampante qui pullulait alors dans tout le Sud-Ouest sous une forme rurale particulièrement morbide, car mêlée de sorcellerie et de superstition paysanne. Néanmoins, Jean Rameau n'était pas un auteur anticlérical déclaré. Bien au contraire, beaucoup de ses romans reprennent à leur compte des codes tout à fait admis de la littérature chrétienne. Son but n'était pas d'effrayer les dévotes, mais de les convertir au renoncement de leur foi via une démonstration par l'exemple des conséquences suicidaires et/ou paranoïaques d'une trop grande ferveur religieuse. Jean Rameau était aussi un sensuel et un voluptueux, qui a trasnformé la ferme familiale en une maison d'esthète luxueuse, qui contenait notamment une pièce réservée aux œuvres d'art de l'Antiquité, avec un imposant buste d'Apollon. Ce « Domaine du Portaou », située en bordure du petit village de Cauneilles, est depuis devenu un musée consacré à la mémoire de Jean Rameau. Bien entendu, ses nombreuses lectrices, sauf celles qui furent ses intimes, ignoraient tout du paganisme hédoniste assumé de ce grand jouisseur. Pour autant, la sensualité de Jean Rameau est toujours suggérée dans ses romans, mais jamais explicite. C'était un choix purement personnel, Jean Rameau n'avait subi aucune pression de son premier éditeur parisien, Édouard Dentu, lui-même féru de scandales et aimant à publier des œuvres provocatrices et insolentes. Sans doute Jean Rameau avait-il une conscience aiguë de la pudibonderie de son lectorat, et la sensualité réelle qu'il exprime dans ses romans s'attarde plus sur les fruits, les fleurs, les matières douces ou chaudes au toucher, ou sur la nature elle-même qui, dans le sud de la France, est souvent verdoyante et ensoleillée, - enténébrant d'autant plus facilement par contraste l'art chrétien et la mortification de son culte. En véritable hédoniste, Jean Rameau lie les plaisirs de l'amour et du sexe à toutes les formes de voluptés, notamment à la nourriture (la gastronomie dans le sud-ouest est l'une des meilleures de France), ou à la contemplation d'une nature exubérante et, en ce temps-là, exempte de tout urbanisme. Il séduit sa lectrice en méridional langoureux, conscient que la campagne gasconne a un air de jardin d’Éden. « Moune » (1890) est son troisième roman, une œuvre de jeunesse qui, comme ses deux prédécesseurs, conserve encore un peu des défauts du poète qui s'essaye à la narration en prose. Jean Rameau y fait notamment un usage particulièrement excessif de la locution adverbiale « çà et là » (archaïsme remontant au XIIème siècle signifiant « ici et là », à une époque où l'adverbe de lieu « çà » était encore privilégié à « ici ». Il faut néanmoins préciser que même en 1890, cette locution adverbiale était déjà un peu vieillotte). Comme souvent chez Jean Rameau, l'intrigue est relativement simple, et se déroule exclusivement dans un village qui est probablement celui où vit l'auteur, Cauneille. Dans le roman, le village, jamais nommé, appartient à la paroisse de Peyrehorade, qui est effectivement le village voisin de Cauneille. Dans ce village, deux exploitations rurales voisines, Le Tuc, grande ferme cultivant plusieurs hectares de maïs, et la Maisonnave, propriété terrienne d'un certain nombre de métairies, forment le cœur industriel du canton. Les deux familles sont très amies, et leurs enfants sont appelés à se marier. Dans la Maisonnave, le nom de la famille résidente est Lartigue, le fils Justin est un séduisant jeune homme qui vient d'achever son service militaire et revient, nanti du prestige de l'uniforme. Dans Le Tuc, la famille se nomme Poulicat, et le père, veuf, vit avec ses deux filles, Marie, dite « Mariotte », très jolie jeune fille appelée à hériter du Tuc, et Monique, dite « Moune », l'aînée, fille simplette et handicapée décrite comme bossue, courte sur pattes, avec d'immenses et longs bras grêles et une petite tête « d'avorton ». L'anomalie génétique de Moune n'est jamais expliquée, et à vrai dire, ne correspond pas à quelque chose de scientifiquement connu, mais physiquement, elle ressemble quelque peu à un singe, ce qui lui a valu d'être surnommée « Moune », qui en gascon, selon l'auteur, signifie « guenon ». Précisons tout de même qu'il n'en est rien : je m'en veux d'avoir à donner des leçons de gascon à Jean Rameau, même si je suis moi-même un compatriote, mais « guenon » se dit en gascon « mona », exactement comme en espagnol. En fait, le mot « moune » n'existe ni en gascon, ni en occitan. Il vient en réalité des Alpes de Haute-Provence où il désigne un jeu de cartes local vieux de plusieurs siècles. Le mot « moune » a été également recréé par hasard en créole pour désigner une personne anonyme. Psychologiquement, Moune est plus ou moins une enfant, bien qu'elle ait dépassé la vingtaine. Physiquement, elle est fragile, maladroite, empotée. Elle tombe souvent, en essayant de vouloir courir. Sentant sa différence plus que la comprenant réellement, elle est devenue très vite aigrie, méchante, pleine de fiel, insultant tous les gens qui passent devant elle, envoyant des cailloux sur les chats et les chiens, qui l'évitent comme la peste. On ne la supporte que parce que dans ces campagnes peu instruites, on a tendance à penser que les enfants anormaux sont un don de Dieu incitant à l'humilité et à la tolérance. Seule sa sœur Mariotte ne peut s'empêcher de ressentir une certaine aversion pour cette sœur monstrueuse, alors que, fait étrange, Mariotte est la seule personne qui trouve grâce aux yeux de Moune, laquelle l'adore comme si elle était sa fille au lieu de sa sœur. C'est au cours d'un mois de mai, alors que Mariotte a grimpé tout en haut d'un cerisier pour y cueillir les premières cerises mûres, que la jeune fille découvre la volupté. D'abord, en croquant les cerises en restant dans l'arbre, et en découvrant le merveilleux panorama qui s'offre à elle depuis la cime où elle est perchée, puis en étant rejointe tout en haut par Justin Lartigue, qui l'a aperçue, et a souhaité goûter les cerises en sa compagnie. La présence de ce beau garçon à côté d'elle, dont elle devine les tendres envies, fait naître en elle une troublante émotion. Jean Rameau use et abuse de cette émotion, puisque ce moment romantique en haut d'un cerisier s'étire sur plus de 50 pages, où l'écrivain s'abandonne volontiers à sa plume la plus poétique. C'est un peu long, mais c'est charmant et débordant de sensualité. Par la suite, Justin Lartigue courtise discrètement Mariotte. Il a notamment remarqué, de loin, que sa silhouette s'asseyait souvent le matin sur un petit banc isolé du jardin des Poulicat. Il s'arrange pour y laisser la veille au soir, bien en évidence, des lettres d'amour. Malheureusement pour lui, il n'a pas fait attention à ce que cette silhouette était en réalité celle de Moune, et comme ses lettres sont glissées dans des enveloppe marquées « Pour Mademoiselle Poulicat », Moune se persuade aisément qu'elles lui sont bien destinées, et que Justin Lartigue est amoureux d'elle. Le malentendu se poursuit ainsi durant quelques semaines. Chaque soir, Justin dépose à côté du banc une lettre que Moune lit le matin suivant avec ferveur. Et puis un jour, Justin croise Mariotte, et lui demande pourquoi elle ne répond pas à ses lettres. Surprise, la jeune fille avoue n'en avoir reçu aucune. Par recoupement, ils comprennent tous deux que Moune, auxquels ils ne pensaient plus, dévorait leurs lettres depuis des mois. Chacun estime donc urgent de mettre fin au malentendu, via une demande en mariage officielle. Mais un accident a lieu le lendemain. Alors qu'elle suit une charrette de maïs tirée par un âne sur une route en pente, Mariotte voit avec horreur la charrette se détacher de l'âne et descendre la pente à toute vitesse dans sa direction. Tétanisée de peur, elle est incapable du moindre mouvement, et c'est Moune qui, ayant compris le péril, se jette sur Mariotte et la repousse sur le bas côté. Mais l'intelligence limitée de Moune ne lui a pas fait réaliser qu'elle se mettait ainsi elle-même en danger : la charrette la percute de plein fouet, et l'envoie bouler à quelques mètres. Durant une dizaine de jours, Moune reste alitée, entre la vie et la mort. Elle se laisserait bien mourir, mais l'amour qu'elle ressent pour Justin lui cheville l’âme au corps. Grâce à cette volonté profonde, elle se bat avec furie contre la mort qui la guette. Mariotte, de son côté, est au plus mal. Elle culpabilise énormément de l'accident de sa sœur, bien qu'elle n'y soit pour rien. Elle se hait surtout, parce qu'elle-même ne se serait jamais sacrifiée ainsi pour sa sœur aînée dans une circonstance similaire. Et surtout, Mariotte s'exagère le sacrifice de Moune : elle ne réalise pas que celle-ci n'a pas mesuré le risque qu'elle courait elle-même. Mariotte lui confère l'aura d'une martyre volontaire, et dans un délire mystique, elle tombe à genoux et supplie Dieu de sauver sa sœur, en échange de quoi, elle s'engage à devenir religieuse. Or, quelques jours plus tard, et contre toute attente, même celle du médecin, Moune guérit et se rétablit totalement. Et non seulement, elle ne garde aucune séquelle de son accident, mais son humeur même est totalement transfigurée par l'amour qui l'a rendue à la vie. Elle devient gentille, aimable, douce et attentionnée, elle chérit les animaux auxquels elle lançait autrefois des pierres, et ceux-ci semblent lui pardonner son agressivité d'hier et courent en permanence dans ses jambes. Cette métamorphose semble aussi miraculeuse aux gens du village que la guérison qui l'a précédée. Mariotte, de son côté, ne peut s'empêcher d'y voir une intervention divine, et se persuade qu'il lui faut décidément tenir son serment. Elle ne sait pas dans un premier temps comment annoncer cette nouvelle à Justin, et se contente de l'éviter en baissant les yeux, ce qui fait atrocement souffrir le pauvre garçon, qui ne comprend pas la raison de ce brusque dédain. Un soir, elle l’entraîne néanmoins dans une discrète virée nocturne pour lui révéler la raison de sa froideur et son irrévocable décision d'entrer au couvent. Le garçon est épouvanté, il tente vainement de faire changer Mariotte d'avis, mais perdue elle-même dans sa psychose mystique, Mariotte se montre inflexible, tout en assurant Justin que son amour est pârtagé. Et comme Justin n'est rien de plus lui-même qu'un petit paysan inculte et superstitieux, il n'ose mettre totalement en doute le caractère divin du sacrifice que Mariotte lui impose. Néanmoins, il regimbe quand Mariotte exige de lui un autre sacrifice, plus terrible encore, que celui de renoncer à son amour. En effet, si Mariotte entre au couvent, Le Tuc sera légué à Moune, que personne ne voudra jamais épouser, et qui sera incapable de gérer seule l'exploitation du maïs, ce qui impliquera de vendre Le Tuc au premier venu. Justin refuse bien évidemment d'épouser cette fille monstrueuse, mais au fil des mois, alors que Mariotte a rejoint le couvent, et que son chagrin s'en trouve davantage alourdi, Justin se met à apprécier la présence discrète, dévouée, de Moune, qui ne vit plus que pour Justin, même s'il se tient éloigné d'elle. Lorsque le chien de Justin se fait écraser la patte par la roue d'une charrette, puis agonise lentement dans son panier, à cette époque qui ne connaît pas les antiseptiques, Moune s'introduit chaque soir, en pleine nuit, dans le jardin des Maisonnave pour badigeonner la patte blessée du chien d'un onguent de sa fabrication qui, contre toute probabilité, parvient à sauver le chien de la gangrène, même si Moune passe pour une sorcière jeteuse de sorts auprès d'une voisine qui aperçoit chaque nuit sa sombre silhouette dans le jardin. Justin ne reste pas insensible à ce dévouement, aussi maladif et psychotique soit-il. Il sent bien aussi que le village tout entier aspire à ce qu'il épouse Moune afin de donner une postérité au Tuc. Justin finit par comprend où est son devoir, et s'y sacrifie même avec une certaine joie, tant la présence attentionnée, salvatrice et même au final assez drôle de Moune lui est devenue une compagnie qui le soulage de l'immense chagrin d'avoir perdu Mariotte. Le soir des noces, tandis que Justin raccompagne les invités, Moune explore la nouvelle chambre conjugale de Maisonnave qui est désormais la sienne, et fouillant un placard, elle y trouve une boîte qui contient près d'une centaine de lettres d'amour que Mariotte a écrit à Justin, y compris après son entrée au couvent, lettres dans lesquelles Mariotte lui enjoint ponctuellement de se résigner à épouser Moune. La jeune handicapée voit alors son rêve d'amour s'effondrer, et entre dans une crise de démence et d'hystérie. Elle se jette au-dehors, décidée à entrer de force au couvent où Mariotte est proscrite afin de la supplier de prendre sa place et de la laisser finir sa vie dans une cellule à sa place. Mais elle trouve porte close : le couvent n'admet pas les visites aussi tard, et n'aurait de toutes façons pas cédé à sa demande. Justin, une fois remonté dans sa chambre, découvre les lettres de Mariotte éparpillées au sol, et ne tarde pas à comprendre ce qui s'est passé. Il se lance à la poursuite de Moune, et finit par la rejoindre alors qu'elle revient affligée du couvent. Justin lui jure alors qu'il n'aime plus Mariotte, qu'il a appris à connaître Moune, et qu'elle est désormais sa femme et qu'il veut l'aimer comme telle. Mais cet amour de convenance, auquel elle ne peut croire, ne répond pas à l'immense passion de Moune, qui préférait encore l'indifférence d'un Justin inaccessible à la charité de celui qui devient son mari par dépit. Elle tire un couteau de sa poche, et se l'enfonce violemment dans le cœur. Elle s'éteint dans les bras de Justin qui, en pleurant, continue de lui répéter que c'est elle qu'il aime. On pourra juger cette fin tragique un peu excessive, y compris dans sa mise en scène, mais outre que cela permet de resituer le récit dans une perspective catholique sacrificielle, et donc échapper à la censure, le destin de Moune devait se conclure ainsi pour que la débâcle soit totale et entièrement imputable à Mariotte, dont le délire mystique censé sauver sa sœur aura finalement causé sa perte, et brisé les existences de Justin et de Mariotte elle-même. L'athéisme et l'anticléricalisme de Jean Rameau sont ici bien plus véhéments qu'ils ne le seront dans son œuvre postérieure. L'auteur ne maîtrise pas encore cette art subtil de passionner une lectrice dévote tout en démontant point par point les mécanismes de sa foi. Ici, la vision du clergé est résolument hostile jusqu'à la caricature (comme en témoigne le curé de la paroisse dont le passe-temps favori est de jeter des cailloux sur les oiseaux car il ne supporte pas leur chant), ce qu'on retrouvera rarement par la suite chez l'auteur. Les rites religieux eux-mêmes apparaissent comme de simples prétextes à festin et à beuverie. La cérémonie d'adieu de Mariotte à ceux de son village lors de son départ au couvent ne leur inspire que l'envie de jouer aux cartes et de débattre sur les faits d'actualité. Seule Mariotte est réellement transfigurée par sa conversion et son retrait du monde. Ceux qui ne pleurent pas son départ y sont indifférents. Cette vision ironique approfondit aux yeux des lecteurs l'aveuglement de Mariotte, persuadée que son sacrifice va faire le bonheur des siens, alors que bien au contraire, il ne va apporter que la mort et le tourment chez ceux que Mariotte laisse derrière elle. Même Justin finit par ressentir plus d'estime pour Moune, qui se dévoue à l'amour qu'il lui inspire, que pour Mariotte, qui se dévoue à Dieu qui ne lui a rien demandé. « Moune » est un drame rural visant à suggérer que la passion religieuse est contre-nature, et que se détourner de l'amour, du seul amour vrai, qui est celui que l'on éprouve pour une personne ou pour les membres de sa famille, ne peut qu'entraîner la mort. Le jugement est sévère, la leçon est cruelle, mais face à l'obscurantisme borné qui s'installait dans cette région de France, depuis la prétendue apparition de la Vierge en 1858 dans la grotte de Lourdes, rapportée par Bernadette Soubirous, il fallait assurément ruer dans les brancards pour faire entendre une voix discordante. D'ailleurs, la guérison « miraculeuse » de Moune suite à son accident peut apparaître comme une allusion perfide aux miracles de Lourdes : Moune guérit grâce à l'amour fou qu'elle ressent et qui l'attache à la vie, et elle n'a nul besoin d'une source miraculeuse ou de procéder à des neuvaines. Ce qui nous sauve la vie - ou au contraire qui nous la coûte - est déjà en nous, depuis toujours, et n'a rien à voir avec un Dieu hypothétique. Enfin dernière ironie du sort, « Moune » obtint le prix Montyon pour l'année 1891. Le prix Montyon était un prix littéraire récompensant une œuvre de haute-moralité, décerné par une académie de lecteurs catholiques, laquelle ne vit absolument pas le caractère anticlérical de ce roman, ou crut n'y percevoir qu'une condamnation après tout fort compréhensible d'une prise de voile effectuée pour de mauvaises raisons. À noter enfin que « Moune » est l'un des rares romans de Jean Rameau à avoir été directement publié en version illustrée, malgré son format in-octavo peu pratique. Bien que l'artiste ne soit pas crédité, on peut distinguer à la loupe, sous certaines des plus grandes gravures, le nom de Pierre Morel, graveur relativement banal mais très actif à cette époque. Hélas, ses illustrations, reproduites en petits médaillons ou en culs-de-lampe, sont présentées dans des formats très réduits et mal imprimés qui n'ont pas beaucoup d'intérêt, d'autant plus que les gravures elles-mêmes semblent bien plus souvent montrer des animaux de la ferme ou des architectures locales que les scènes du roman proprement dites. Il faut peut-être y voir l'initiative d’Édouard Dentu à vouloir faire connaître Jean Rameau comme « écrivain régional » auprès d'autres lectorats français. Comme quoi, le malentendu concernant cet écrivain date presque de ses débuts, comme s'il n'y avait jamais eu d'auteurs landais avant lui.
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