
Chantre de la vie méridionale en terres gasconnes, le poète Jean Rameau s'est fait romancier pour des raisons essentiellement alimentaires, signant deux à trois romans par an pendant près d'une trentaine d'années, avant de diminuer sa production après la Première Guerre Mondiale, et surtout consécutivement à la mort sur le champ de bataille de son fils unique. Personnage hors du commun, Jean Rameau s'acheta en 1899 une propriété dans le petit village landais de Cauneille, en dessina l'aménagement intérieur sans avoir la moindre connaissance en architecture, l'orna de ses sculptures et de ses peintures, apprenant à sculpter et à peindre pour l'occasion, et alla même jusqu'à dessiner et faire construire son mausolée, bâti sur un point surélevé de son domaine. Partiellement détruit en 1941, un an avant la mort de l'écrivain, par une escouade nazie, le mausolée fut laissé à l'abandon, et Jean Rameau fut finalement inhumé en un autre point, plus discret, de sa propriété. Baptisée "Le Pourtaou", la maison de Jean Rameau est devenue depuis un musée consacré à l'écrivain, accompagné d'une très belle roseraie entretenue depuis 80 ans telle que l'avait souhaité Jean Rameau, et que l'on peut visiter tous les jours de mai à juillet, et sur rendez-vous exclusivement le reste de l'année. Cet exceptionnelle postérité a une raison d'être. Si Jean Rameau fut d'abord un romancier à succès auprès d'un lectorat principalement féminin, il devint au fil des années, et plus encore après sa mort, un symbole méridional qui a conquis un public essentiellement masculin et régionaliste. Plus tellement lu au nord d'Angoulême, il demeure encore une référence dans tout le sud-ouest de la France. Jean Rameau se réclamait avant tout romantique et républicain, "fils spirituel de Victor Hugo", selon ses propres dires. Sans doute se référait-il plus volontiers aux poèmes de Victor Hugo qu'à ses romans, car sur le plan littéraire, Jean Rameau lorgne bien plus du côté d'Alphonse Daudet, tout en cultivant de manière très personnelle une noirceur tourmentée et une fascination pour la folie féminine. En cela, il se démarque de manière très notable d'auteurs méridionaux véritablement régionalistes dans l'âme, comme Alphonse Daudet, Eugène Le Roy, Paul Arène ou Joseph de Pesquidoux. Si Jean Rameau aime profondément ses landes natales et ses montagnes pyrénéennes, il n'a rien d'un guide touristique : il fait de la nature exubérante et sauvage, au sein de laquelle il vit, le décor artistique de drames intimes, souvent amoureux, où la passion se heurte à des intérêts contraires, des jalousies féroces, des haines rentrées ou des obsessions malsaines. Ses héros et ses héroïnes sont généralement des êtres purs, honnêtes, souvent très jeunes, dont la quête vers le bonheur est jalonnée d'obstacles divers, jetés là par une humanité mauvaise et malveillante, laissant deviner la sauvagerie et la cruauté dormant derrière des apparences de respectabilité, et comme insufflées par la terre indomptable où le drame se déroule. Cependant, le roman le plus célèbre et le plus vendu de Jean Rameau, « Mademoiselle Azur » (1893) se passe presque intégralement à Paris, et peut-être le succès national de ce roman bénéficia de ce décor bien plus familier. « Mademoiselle Azur » traitait d'un sujet qui était souvent abordé en littérature, mais pas de manière aussi centrale. Le roman narre l'histoire d'un sculpteur monté à Paris, qui tombe éperdument amoureux d'une jeune femme dont il fait son modèle. Cette jeune femme répond favorablement aux espérances du sculpteur, mais semble parfois prise de violentes hésitations. Vierge, elle redoute l'acte charnel qui découlera de la nuit de noces, et se réfugie dans une dévotion religieuse maladive, qui la rend folle au point d'en arriver à se suicider à l'arsenic plutôt que de faire l'amour avec un homme qu'elle aime véritablement, mais qu'elle refuse de désirer. Cette lente descente aux enfers d'un cerveau féminin détraqué se voulait une condamnation cinglante de la dévotion religieuse et de l'horreur de la chair qu'elle inspire. Mais curieusement, peut-être de par son titre innocent, « Mademoiselle Azur » ne fut perçu que comme un mélodrame romantique, et fut plusieurs fois réédité jusque dans les années 60, très souvent d'ailleurs dans des collections de littérature sentimentale, comme s'il s'agissait d'un simple roman à l'eau de rose. Malgré le réel succès commercial qu'ils connurent en leur temps, les romans de Jean Rameau sont devenus fort difficiles à trouver de nos jours, même chez les libraires spécialisés. Conservés religieusement dans les familles, et transmis de pères en fils comme un trésor patrimonial, les livres de Jean Rameau disparaissent progressivement de la circulation, et avec eux le souvenir du nom de leur auteur - du moins en dehors du sud-ouest de la France. « Zarette » (1904) est un roman assez emblématique de son auteur. Il nous plonge dans un petit village rural, situé entre Saint-Jean-de-Luz et Saint-Jean-Pied-de-Port, à Hasparra (commune imaginaire, mais fortement inspirée du village réel d'Hasparren). « Zarette », c'est le surnom donné à Lazarette de Vic, petit ange brun méridional d'à peine quinze ans, orpheline et adoptée, avec son frère Roland, par une famille de cousins éloignés, des châtelains désargentés mais ayant encore un vieux châtelet, dans le jardin duquel la petite Lazarette élève de petits animaux domestiques. Le frère et la soeur s'entendent admirablement bien, au point que leur affection prend une tournure ouvertement incestueuse. Mais Roland de Vic est persuadé qu'ils ne sont pas réellement frère et soeur, lui-même est blond aux yeux bleus, et des rumeurs qui lui sont parvenus aux oreilles disent qu'il y aurait un secret dissimulé autour de la naissance de Lazarette.
Celle-ci part donc à la recherche de ses origines pour en avoir le coeur net. Après bien des aventures, Lazarette finit par apprendre qu'elle n'est effectivement pas la soeur de Roland, car elle est en réalité la fille adultérine d'Isabelle, la cousine qui l'a adoptée. Or, étant enfant du péché à une époque où on ne plaisantait pas avec ces choses-là, il lui est difficile de rendre publique sa découverte. La vérité sur sa naissance serait un scandale qui éclabousserait toute la famille qui l'a élevée. Qui plus est, il faudrait corriger sa fiche d'état civil pour qu'elle puisse épouser Roland, mais le maire d'Hasparren, obsédé par la jeune fille et prêt à tout pour l'épouser avec ou sans son consentement, se refuse à cette démarche afin d'empêcher le mariage de Zarette avec Roland. La famille adoptive de la jeune fille, inquiète de la tournure des évènements, décide de séparer les deux enfants, et envoie Roland travailler en Espagne. Mais Zarette, incapable d'oublier Roland, refuse de s'alimenter et se laisse dépérir au point qu'il faut trouver à tout prix une solution pour faire revenir Roland et officialiser légalement leur union. Ils vont finalement faire passer Zarette pour le péché de jeunesse d'une cousine agonisante, bonne soeur dans un couvent, qui accepte de sacrifier sa réputation et sa béatification, afin de sauver la jeune fille en danger de mort... Au final, après bien des turpitudes, Zarette pourra retrouver Roland, mais son organisme étant affaibli par les longues privations qu'elle s'est infligée, la joie de retrouver l'homme qu'elle aime lui est fatale, et elle tombe morte d'émotion dès que Roland l'embrasse.
Récit volontiers abracadabrant, aux rebondissements parfois aux limites du feuilletonnesque, « Zarette » est un mélodrame qui sans doute en son temps fut particulièrement bouleversant. Mais avec le temps et l'évolution des mentalités, il faut hélas admettre qu'il parait aujourd'hui un peu grotesque, jusque dans son achèvement dramatique tout à fait improbable. Reposant presque entièrement sur des questions de respectabilité qui sont aujourd'hui totalement dérisoires, le bref destin de la petite Zarette nous apparaît comme un chemin de croix sadique et grossièrement cruel, qui manque souvent de poésie sincère dans sa dimension tragique et shakespearienne. Le roman vaut surtout pour sa description grandiose et poétique de toute la région autour d'Hasparren au début du XXème siècle, à la fois sublime et oppressante. La religion est omniprésente dans cette petite région frontalière avec l'Espagne, et l'auteur confère à tout son récit, sans paraître cependant anticlérical, un peu de cette frénésie psychotique et névrosée de l'Inquisition Espagnole ou des processions de la Semaine Sainte. Mais qu'on ne s'y trompe pas : malgré le respect apparent de Jean Rameau pour les pratiques religieuses, les murs d'incompréhension et d'intolérance, contre lesquels la pauvre Zarette se fracasse la tête et le coeur, sont bien ceux inspirés par la morale chrétienne. Dotée d'ailleurs d'un nom biblique ridicule, Lazarette préfère être surnommée Zarette, ce qui est moins connoté sur le plan religieux et sonne même un peu occitan. Au final, Jean Rameau laisse entendre que Zarette est en réalité une païenne tout à fait saine, qui a le malheur de grandir en terre chrétienne. Son coeur s'éveille naturellement à un amour qui n'a rien de divin, mais lorsqu'on lui refuse la légitimité de cet amour pour des questions de conventions sociales, elle n'a d'autre choix, pour se faire entendre, que d'endosser le rôle chrétien de la petite martyre, de la sainte qui offre ses souffrances au Seigneur, et elle le fait sans aucune limite. Tous ses adversaires se retrouvent contraints de se plier à cette figure imposée, et à imaginer une solution pour permettre ce mariage. Hélas, trop fluette et trop fragile, la jeune fille ne survivra pas longtemps à cette épreuve. Ses proches y verront la décision de Dieu et l'expiation du pêché d'un amour interdit, fuyant ainsi dans un déni mystique leurs propres responsabilités. Jean Rameau fait donc de « Zarette » une nouvelle « Mademoiselle Azur » : Selon lui, les femmes ne peuvent survivre longtemps à la frénésie d'une foi chrétienne profondément mauvaise, quelles que soient leurs intentions, fuir l'amour comme le fait, « Mademoiselle Azur » ou au contraire le rechercher comme « Zarette ». Les femmes sont faites pour aimer un homme, et non pour croire en un Dieu impalpable et mortifère. On pourrait cependant se méprendre facilement sur la façon très subtile dont Jean Rameau distille son message, tant il se donne du mal pour se glisser dans la peau d'un écrivain catholique tourmenté, s'il n'y avait, d'une part, de troublants éléments sensuels concernant la petite Zarette, même dans ses phases convulsives, et d'autre part, si l'on ne savait que Jean Rameau était passionné par l'Antiquité Grecque et les Dieux de l'Olympe, faisant voisiner chez lui les tableaux de Raphaël et les bustes d'Apollon, se réclamant avant tout esthète, hédoniste et tourné vers le plaisir de vivre, le plaisir d'aimer, et le plaisir de s'enivrer de bon vin - et nullement de vin de messe. Sans doute tirait-il un plaisir particulier à rédiger ainsi des livres sur plusieurs niveaux de lectures, où dévotes et athées interprèteraient les faits selon leurs convictions, sans forcément soupçonner la duplicité habile de l'auteur.
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