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LÉO TAXIL - « Les Amours Secrètes de Pie IX [Tome 1 ] » (1881)

  • Photo du rédacteur: Dorian Brumerive
    Dorian Brumerive
  • 1 avr.
  • 19 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 avr.



Personnage tout à fait hallucinant de la Belle-Époque, Léo Taxil reste encore aujourd’hui connu pour ses ouvrages assimilant la franc-maçonnerie au satanisme, ouvrages qui sont encore lus au premier degré par des bibliophiles farfelus issus de l’Occultisme ou de l’extrême-droite, au point qu’on en oublierait presque que Léo Taxil ne faisait aucunement mystère d’être un provocateur et un plaisantin. Ses livres sont emplis de passages humoristiques et de clins d’œil complices avec ses lecteurs, et ses thématiques sont bien plus variées. De son vrai nom Gabriel Jogand, Léo Taxil était le frère cadet d’un autre écrivain, Maurice Jogand, qui publiait principalement du roman-feuilleton ou des récits policiers sous les pseudonymes de Marc Mario ou Maxime Valauris. Bien que les styles et les ambitions littéraires des deux frères étaient considérablement différents, il leur est arrivé plus d’une fois de collaborer ensemble sous d’autres pseudonymes, avec une harmonie fondée sur leur engagement politique commun très à gauche, plutôt anarchiste chez Gabriel, résolument socialiste chez Maurice. Les deux frères étaient pourtant loin d’être eux-mêmes des damnés de la terre. Tous deux sont nés à Marseille dans une famille bourgeoise et commerçante, conservatrice et jésuite. La rigidité de leur éducation religieuse les vaccina à jamais contre le Christianisme et l’Ordre Moral. La lecture d’Eugène Sue, et surtout de son roman « Le Juif Errant » (1845), roman à charge contre la Compagnie de Jésus, leur indiqua la voie la moins sacrée, que Maurice Jogand suivit pour sa part avec une assez grande fidélité. De son côté, plus ouvertement nihiliste, Gabriel Jogand se rapprocha des idées d’Henri Rochefort, et milita dès le tout début de son adolescnce contre le Second Empire, au point d’entrer en conflit ouvert avec ses parents, mais aussi contre l’administration du prestigieux lycée Thiers, où il organisa d’assez inédites révoltes de lycéens. En ce temps-là, on ne plaisantait pas avec la discipline, et âgé d’à peine 16 ans, Gabriel fut envoyé durant deux mois dans la colonie pénitentiaire de Mettray, en Indre-et-Loire, un bagne pour enfants aux méthodes particulièrement sévères, où séjourna également bien plus tard le poète Jean Genêt, et dont Gabriel Jogand revint avec la haine chevillée au corps contre toute forme d’autorité et de morale. Devenu journaliste, il monta à Paris à la fin des années 1870, puis grâce à ses premiers cachets, il fonda la « Librairie Anti-Cléricale », qui s’installa à côté de l’Université de la Sorbonne, au 26 rue des Écoles, avant d’ouvrir rapidement une succursale en vis-à-vis, au numéro 35. Cette proximité bienvenue avec un lieu prestigieux et estudiantin lui valût un franc succès, qui lui permit de développer sa maison d’édition, laquelle perdura jusqu’à la toute fin des années 1890. Suite aux pertes consécutives dues à plusieurs condamnations judiciaires, ainsi que par une certaine lassitude du public, les librairies furent ensuite revendues à un certain Pierre Fort au début des années 1900, et la maison d’édition fut rebaptisée « P. Fort, Editeur ». Néanmoins, l’existence de ce Pierre Fort est sujette à caution, il pourrait s’agir d’une mystification pour dérouter les créanciers. Les deux librairies et leur maison d’édition disparurent en 1907, à la mort de Gabriel Jogand. Fait absolument unique dans l'histoire de l'édition, les 200 et quelques références publiées par Gabriel Jogand durant une trentaine d’années furent pratiquement toutes rédigées par Gabriel et Maurice Jogand, sous une kyrielle de pseudonymes plus ou moins farfelus. Les deux hommes consacrèrent leur vie à donner naissance à une école littéraire anticléricale, dont ils furent en réalité les deux seuls représentants. Gabriel Jogand fut néanmoins le premier en 1879 à se lancer en littérature, avec un pamphlet anticlérical, « À Bas La Calotte », dont le titre est devenu depuis un slogan anarchiste. Le livre fut signé sous le pseudonyme de Léo Taxil, inspiré de deux héros de l’Antiquité, Léonidas Ier, roi de Sparte tombé à la bataille des Thermopyles, et Taxilès, seigneur hindou allié d’Alexandre le Grand. Ce premier succès lui ouvrit les portes du « Midi Républicain », un quotidien méridional très ancré à gauche, qui lui proposa de tenir un feuilleton hebdomadaire. Gabriel Jogand se jeta dans ce projet avec le tempérament excessif et l’anarchisme rancunier qui le caractérisaient. Durant deux ans, de 1879 à 1881, il rédigea chaque semaine le nouveau chapitre d'un roman audacieux qui allait atteindre 2380 pages : « Les Amours Secrètes de Pie IX », sorte d'hallucination cauchemardesque et blasphématoire, singeant le Vatican et ses territoires - car jusqu’en 1870, plusieurs régions, du nord de l’Italie jusqu’à Rome incluse, étaient des « états pontificaux », sous la seule autorité politique du pape. Quelques mots sur Pie IX, pape totalement oublié aujourd’hui, mais qui fut une figure majeure de la chrétienté du XIXème siècle. Son pontificat est le plus long de toute l’histoire de la papauté : 31 ans. Sur bien des points, son profil est extrêmement semblable à celui de Jean-Paul II. De son vrai nom Giovanni Maria Mastai, Pie IX fut élu comme pape moderne et réformateur. Il prit dès 1846 quelques décisions incroyablement libérales : liberté de la presse, interdiction aux religieux de participer aux comités de censure, création de la « Consulta », un conseil consultatif composé exclusivement de laïcs et censé empêcher le Vatican de perdre contact avec les aspirations légitimes du peuple, installation du réseau ferré, du télégraphe et de l’éclairage public. Paradoxalement, ce sont précisément toutes ces innovations modernes qui l’amèneront, vingt-cinq ans plus tard, à mettre fin aux états pontificaux, désormais semblables au reste de l’Italie. Hélas, la chute progressive des monarchies et des empires en Europe, dans les années 1850 et 1860, effraya Pie IX, qui mit fin à ses libéralités, et tint ensuite des propos antirépublicains, antisémites et fortement conservateurs. Il laissa à sa mort, en 1878, une image contrastée et incertaine, qui n’est pas très éloignée de celle que l’on garde ici du roi Louis-Philippe, grand réformateur au début de son règne, devenu censeur implacable sur ses vieux jours, jusqu'à provoquer la révolution de 1848, qui mettra un point final à la monrchie française. Détail qui a ici son importance : Pie IX était un très bel homme, au visage fin et harmonieux, au sourire empreint de bonté et de sagesse, qui entra assurément dans les rêveries intimes de très nombreuses dévotes italiennes. L’homme en jouait indéniablement pour asseoir son culte, puisqu’il fut le premier pape à accepter d’être photographié et à la faire diffuser auprès des fidèles. Gabriel Jogand s’est donc emparé de ce grand personnage récemment disparu, pour en faire, du moins originellement, la figure centrale de son feuilleton. Publié sans nom d’auteur et censé être la traduction française de la confession « d’un ancien Camérier secret du Pape », « Les Amours Secrètes de Pie IX » fut ensuite édité en volume au moins à trois reprises entre 1882 et 1886, toujours sans nom d’auteur. Du moins en apparence, car mon exemplaire (1882) possède un message promotionnel caché, imprimé au niveau du brochage, entre les pages 372 et 373 : "Tout acheteur de la présente livraison, n°47, devra trouver gratuitement à l'intérieur un exemplaire de la livraison n°1 de « La Vie de Jésus », par Léo Taxil". Quel sens du commerce ! Au départ de cet énorme roman, Léo Taxil part d’un postulat délirant mais simple : le Vatican est la racine du Mal, tandis que le pape et ses cardinaux consacrent leurs jours à traquer et à enlever des jeunes filles vierges pour en faire leurs amantes, et leurs nuits à s’enivrer et à partager leurs conquêtes dans des orgies romaines dignes de l’Antiquité. Le pouvoir du Vatican s’appuie à la fois sur l’armée pontificale, les « sbires » (nom tombé depuis dans le domaine public), chargés de capturer, de torturer et de tuer tous ceux qui s’opposent à l’enlèvement d’une victime (parents, amis, fiancés), et sur le soutien logistique du « pape noir », le cardinal Antonelli, chef de l’Ordre des Jésuites, surnommé « Le Gesù », en référence à l’Église du Gesù, église-mère de la Compagnie de Jésus, aujourd’hui située à Rome, mais qui était incluse dans l'état du Vatican au XIXème siècle. Les Jésuites forment une armée de l’ombre, une sorte de Gestapo avant l’heure (d’autant plus qu’ils sont habillés tout en noir, contrairement aux cardinaux catholiques, vêtus de pourpre). Formés par leur "général de bataille", le cardinal Rothmann, ils repèrent, ils infiltrent, ils intriguent et ils manipulent, ils sont également experts en poisons indécelables, et possèdent une prison redoutable, les « Carcere Novi », où l’on enferme et l’on torture, avec une cruauté perverse et dans le plus absolu secret, toutes les personnes que l’autorité papale veut voir disparaître. Antonelli est, indirectement, le véritable dirigeant du Vatican, car Pie IX, en cette fin des années 1850, n’est déjà plus qu’un vieillard lubrique obnubilé par les fillettes qu’on lui amène, et pour lesquelles il se consume d’un amour narcissique et obsessionnel, d’autant plus intense si la jeune fille lui résiste. Pie IX peut cependant compter sur son âme damnée, le cardinal Rancolini. Tacticien intelligent et sans scrupule, Rancolini est le personnage principal de ce premier tome. C’est lui qui déniche la plupart des jeunes proies féminines du pape, mais l'on n'assistera pas tout de suite à ses exploits car, dans les premières pages du roman, il n’a pas à chercher loin. Rancolini est sollicité dans son bureau du Vatican par une jeune romaine, Clélia, qui vit misérablement avec sa famille et cherche un travail honnête. La naïve adolescente ne peut imaginer un seul instant qu’elle vient de mettre les pieds dans la gueule du loup, et que sa vie va bientôt basculer dans la tragédie. Rancolini reçoit la jeune fille, lui sert une boisson contenant un somnifère, puis la fait transporter dans une cellule secrète pour la mettre à la disposition du pape. Les parents de Clélia s’en émeuvent et son père se déplace jusqu'au bureau de Rancolini pour demander des explications. Ce dernier le fait immédiatement arrêter, torturer et mettre au secret. Rancolini apprend par la torture que Clélia est fiancée à un certain Carlo, et envoie aussitôt ses sbires s'emparer du jeune homme. Mais Carlo parvient à leur échapper. Le jeune homme est un activiste du mouvement carbonariste, une société secrète italienne mais également présente en France, qui luttait contre le pouvoir papal, et prônait l'unification de l'Italie. Carlo va aussitôt informer les "carbonari" de l'enlèvement de Clélia. Cette dernière n'est pas à la fête. Choquée et écoeurée que l'on attende d'elle qu'elle devienne la maîtresse du pape, elle résiste de toutes ses forces, et Pie IX, pour la convaincre, l’amène dans une cave souterraine où se trouve la chambre de torture épiscopale. Depuis, un balcon en hauteur, la jeune fille assiste horrifiée à la torture finale et à la mort atroce de son père. Pie IX espère que ce spectacle revigorant fera comprendre à la jeune fille qu’il vaut mieux céder. Cette scène épouvantable est d'ailleurs celle qui est représentée sur la gravure de la page titre (postée plus haut en version colorisée). Comme on s’en doute, Clélia sort de ce spectacle dans un état de choc absolu, qui ne l’incite pas à la gaudriole. Pour la décoincer, Pie IX la traîne le soir même dans une orgie avec d’autres cardinaux. Mais alors qu'il commence à l'embrasser devant les autres convives plus ou moins déshabillés, voilà que surgit d’un couloir une directrice de conscience inattendue : Sœur Felicità, mère d’un ordre de religieuses, et premier grand amour de Pie IX. Le récit s'interrompt alors pour revenir vingt ans en arrière. Le futur Pie IX n’était alors que l’évêque Mastai de Spolète. Son cher Rancolini, déjà très investi, lui avait déniché une adorable vierge, Felicità, qu’il avait fait enlever chez elle, puis qu'il avait cachée dans un couvent de bonnes sœurs, où elle demeura prisonnière dans une cellule fermée à clef. C’est là que Mastai la retrouvait pour abuser d’elle, situation à laquelle elle finit par trouver son agrément... Mastai était beau, et Felicità était inexpérimentée. Bientôt, aussi étrange que cela paraisse, l’amour devint réciproque et total entre Mastai et Felicità, sans pour autant sortir de ses limites carcérales. Seulement voilà : comme Clélia vingt ans plus tard, Felicità était aussi fiancée, avec un jeune homme nommé Paolo, qui aura tardivement lui aussi l’intelligence de s’allier aux "carbonari", pour combattre la garde rapprochée de l’évêque. Il parviendra à délivrer Felicità, ainsi qu’une autre jeune fille, Luizza, fille du chef des "carbonari" de Spolète, et qui fut enlevée quelques mois plus tôt, puis délaissée par le pape après qu'il se soit pris de passion pour Felicità. Les deux jeunes filles sont délivrées au cours d’une scène épique, où les "carbonari" affrontent la cinquantaine de bonnes sœurs du couvent, et qui frappent les "carbonari" à coups de crucifix, de missels et de prie-Dieu. C’est une des scènes les plus drôles et les plus iconiques du roman. Une fois rentrés dans leur cachette, les "carbonari" réalisent que Luizza est enceinte de Pie IX. Elle accouchera d’un enfant qu’elle offrira à un couple de pauvres ouvriers stériles. On apprendra dans les tomes suivants que cet enfant n’est autre que la jeune Clélia. Pie IX passera ainsi des années à vouloir posséder celle qu'il ne soupçonne pas un seul instant d'être sa fille. Quant à Felicità, elle ne reviendra pas avec Paolo. Elle est désormais amoureuse de Mastai, et ne veut plus vivre qu’avec lui. Elle promet à son sauveteur inconsolable qu'elle ne dira rien sur la cachette des "carbonari", et rentre docilement au couvent. Après ce long flashback, l’auteur revient au Vatican, où Félicità, plus âgée de vingt ans, ayant pris le voile après que Mastai se soit fatalement lassé d’elle, le somme de libérer la jeune fille, en l’accusant de vouloir gâcher la vie de Clélia comme il l’a fait avec la sienne. Elle ordonne que cette jeune fille lui soit confiée, et intègre son couvent. Pie IX, qui ne supporte pas la contrariété et les accusations publiques, s’effondre au sol, en proie à une violente crise d’épilepsie, car il est épileptique depuis son enfance (malgré les apparences, ce détail-là est authentique). Rancolini, sentant que cet incident va permettre à Felicità d’emmener la passive Clélia, s’arrange pour faire boire à cette dernière un poison violent, afin qu’elle ne puisse pas raconter ce qu’elle a vu. Alors que Felicità ramène Clélia dans un fiacre, elle se rend compte que Clélia est en train d'agoniser, et en devine fort bien la raison. Aussi se fait-elle conduire chez son ancien fiancé, Paolo, devenu médecin. Celui-ci parvient de justesse à sauver la vie de la jeune fille. Il contacte ensuite le fiancé de Clélia, Carlo, et lui fait comprendre l’urgence de s’enfuir avec elle loin de Pie IX et des états pontificaux, en gagnant la France via l’Autriche, pays alors hostile lui aussi au pouvoir papal. Mais très rapidement, Rancolini, et sa propre âme damnée Rebbio, sont sur les traces des jeunes fuyards. Il va s’ensuivre une longue et palpitante traque, pleine de rebondissements, d’emprisonnements, de tortures, et où l'on verra finalement le cardinal Rancolini gravement blessé, être soigné puis retenu prisonnier par des sbires jésuites envoyés par Antonelli, tandis que Carlo, pris pour un contrebandier, est arrêté et torturé dans la forteresse de Reichenstein, en Autriche. Confié aux soins discutables du major Brahlhausen, médecin-chef de la forteresse et chirurgien expérimental à ses moments perdus, Carlo se retrouve bientôt à servir de cobaye involontaire et impuissant pour un traitement révolutionnaire contre la gangrène, qui bien évidemment, ne donne pas d’autres résultats que de prolonger et d’aggraver la souffrance du jeune homme. Néanmoins, Paolo, par devoir, a continué sa route jusqu’en France, et installe Clélia chez un ami parisien "carbonari". Malheureusement pour Clélia, le camérier Rebbio est déjà à Paris, et a commencé ses recherches… Lui aussi va vivre des aventures extraordinaires et cauchemardesques tout à fait palpitantes, car il sera capturé par les "carbonari", qui le relâchent deux mois plus tard, de peur que Rancolini ne débarque à Paris et ne les débusque. Son retour à pied jusqu'à Rome, sans un sou en poche, est un passage magistral de ce premier tome. Pendant ce temps, au Vatican, Pie IX se morfond, et pleure l’absence de "sa" Clélia, qui l'obsède et obscurcit son cerveau. Ses cardinaux les plus proches craignent que le pape ne devienne fou. Le cardinal Gioranni propose alors une idée démentielle : il y a, à Rome – donc au Vatican – un ghetto juif, dans lequel un vieux barbon, Mokrossen, propose sa fille Zhora, - ou prétendue comme telle, - à une clientèle exigeante, riche et triée sur le volet. Zhora est une ravissante, sculpturale et experte jeune fille, éduquée depuis sa plus tendre enfance à la satisfaction des sens et au plaisir des hommes. Nul ne lui résiste bien longtemps. Pourquoi ne pas lui présenter Pie IX ? L’entreprise est fort risquée, mais il faut absolument sortir le pape de sa rumination dépressive. Le rendez-vous galant est donc pris par Valecchio, l’un des camériers du pape. Seulement, le cardinal Antonelli, qui possède des yeux et des oreilles dans tout le Vatican, est absolument outré d'un tel projet. Il décide de laisser Pie IX s'y rendre, puis d’effectuer sur place une opération commando afin d’enlever Pie IX en plein coït, de le ramener de force au Vatican et de le sermonner durement sur ses inconséquences. Pour plus de sureté, Zhora et son protecteur Mokrossen seront eux aussi enlevés et emprisonnés. Malheureusement, l’opération se passe mal. Mokrossen et Valecchio sont armés, et ignorant l’identité de leurs agresseurs, ils tirent sur eux à bout portant. Plusieurs hommes de main jésuites restent ainsi morts sur le carreau. Valecchio et Mokrossen finissent par être acculés, et désarmés. Ils sont ramenés à l’église du Gesù. Valecchio, blessé, est soigné en échange de la promesse de devenir désormais un espion au service des jésuites. Quant à Mokrossen, il est torturé et exécuté. La pauvre Zhora, sans rien comprendre à ce qui lui arrive, se retrouve jetée dans une cave secrète, en attendant que l’on décide son sort. Enfin, Pie IX, en pleine crise d’épilepsie, est ramené d’urgence au Vatican, sans être en mesure de pouvoir écouter le moindre sermon. Une fois remis de ses émotions, Pie IX s’en va prier pour ses pêchés dans sa petite chapelle personnelle dédiée à la Vierge Marie. C’est alors que, terrifié, il voit la statue de la Vierge pivoter vers l'arrière et laisser apparaître le cardinal Rancolini, très amaigri, fraîchement échappé de ses geôliers jésuites, et qui s'introduit par un passage secret. Il informe le pape de la présence de Clélia à Paris, et de la concurrence d'Antonelli, qui veut lui aussi s'emparer de Clélia pour remonter la piste des "carbonari". Pie IX exige alors qu’on ramène Clélia au Vatican par tous les moyens possibles. Au nord, en Autriche, dans la forteresse de Reichenstein, le major Bralhausen fait, aux environs, une curieuse rencontre, celle d’un entomologiste nommé Peter Hilarius Mauser, originaire de Munich, venu en ce lieu pourtant militaire pour traquer une nouvelle race de bupreste, un petit coléoptère aux élytres brillantes fort prisé par les collectionneurs. Or, justement, - quel curieux hasard ! -, Bralhausen est lui-même passionné de buprestes, et en a une très belle collection qu’il serait fier de montrer à son nouvel ami. Il l’invite donc à visiter la forteresse, alors que le règlement l’interdit. Par ailleurs, l’attitude de ce Mauser, qui semble tout observer autour de lui avec beaucoup d’attention, est assez étrange. Qui est-il et que cherche-t-il à faire ? Nous l’apprendrons bien plus tard… Dans les dernières pages de ce tome 1 nous faisons connaissance avec celle qui sera à la fois la prochaine conquête de Pie IX et le personnage principal du tome 2 : la comtesse Léonore de San-Gaëtan. Elle et son mari viennent d’arriver à Rome, avec le projet soigneusement mûri de s’infiltrer dans la cité du Vatican et d’y séduire le pape Pie IX, dont le priapisme et les moeurs dépravées sont bien connus des femmes légères. Léonore n'a en effet plus rien d'une vierge innocente, mais elle est d’une beauté à couper le souffle, et enivre tous les hommes par son charme capiteux. Cette beauté cache néanmoins un coeur de serpent : Léonore est une manipulatrice dénuée de tout scrupule, une succube qui ne vit que pour ruiner ses amants, et qui se réjouit lorsque ceux-ci, incapables de vivre sans elle, mettent fin à leur jour. Le couple a donc des moeurs assez libres; la comtesse séduit des hommes riches et puissants, tandis que son mari s’arrange pour les pousser à se ruiner en cadeaux de prix. Occasionellement, il s'empare aussi de bijoux et de documents précieux chez son rival du moment pendant que son épouse se fait lutiner. Il est le parfait complice des crimes de sa femme, et un redoutable garde du corps. Léonore vient d’ailleurs de rompre avec un jeune homme fort épris d’elle, Alfred de Kervilly, qui, ne se résignant pas à cesser de vouloir la reconquérir, est proprement abattu par son mari. Léonore profite des très dispendieuses soirées du cardinal Gioranni pour rencontrer et séduire Pie IX, mais le cardinal Gioranni tombe lui aussi sous le charme de Léonore, laquelle s’en amuse. Elle se dit que plus il y a de fous, plus on s'enrichit, et elle consent à céder au cardinal, menant ainsi deux relations secrètes avec deux pensionnaires du Vatican, qui ignorent qu'ils ne sont pas seuls à profiter des charmes de la comtesse. Menée de main de maître par un couple d’escrocs d’une singulière habileté, cette audacieuse mystification va petit à petit semer le chaos au sein de la Cité du Vatican… Quant aux Jésuites et à leur chef Antonelli, initialement décidés à supprimer Zhora, ils changent brusquement de projet. En effet, cette jeune fille peu farouche, et désormais seule au monde, pourrait être un puissant instrument pour leur cause. L’Ordre a récemment accueilli parmi ses novices un très jeune homme soigneusement fanatisé, le marquis Raphaël de Zuccharèse, dernier rejeton des princes d’Hérici. Cet adolescent quelque peu autiste a subi durant toute son enfance l’ascendant de sa défunte mère, elle-même jésuite et dévote jusqu’à la folie. Après la mort prématurée de la marquise, son époux s’est efforcé d’arracher le jeune Raphaël à la religion, ce qui a amené une rupture définitive entre eux. Puis le prince s’est remarié avec une jeune femme, de laquelle il vient dernièrement d'avoir un enfant, qui sera le seul héritier de la fortune d’Hérici, puisque selon la loi, ceux qui entrent en religion renoncent à tous les biens matériels. Or, tout ça ne fait pas l’affaire du cardinal Antonelli, qui n’a certes pas besoin d’un idiot supplémentaire dans ses rangs. À quoi bon exercer une emprise religieuse sur un marquis, si ce n’est pas pour s’en servir ? Le cardinal a alors une idée, dont, hélas pour lui, il ne mesure pas un seul instant les conséquences : il force Raphaël, qui n’est pas encore ordonné prêtre, à renoncer définitivement à ses vœux, et l’oblige à épouser Zhora, en lui dissimulant soigneusement sa judéité et son ancien métier de prostituée. Puis, une fois que le mariage sera consommé, Antonelli prévoit d'inciter fortement le jeune couple à enfanter. Une fois marié, père et soutien de famille, Raphaël redeviendra l’aîné des Hérici, et donc, l’héritier présomptif de leur fortune. Et comme Raphaël n’est qu’un pantin entre les mains des jésuites, il leur sera aisé de l’amener à leur donner petit à petit l'intégralité de son héritage. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu : contrarié dans sa vocation, terrifié par les femmes et horrifié par le sexe, Raphaël a bien voulu se marier, puisque on lui en a donné l'ordre, mais il refuse de partager sa couche avec sa femme, malgré l'insistance de Vincenti, le père jésuite qu'Antonelli a assigné à Zhora, - officiellement comme directeur de conscience, officieusement comme pygmalion pour la préparer à ce rôle de marquise pour lequel elle est si peu faite. Vincenti harcèle tellement Raphaël pour qu'il honore sa femme que le jeune marquis finit par être persuadé que le père jésuite est possédé du démon, et finit par sermonner lui-même le jésuite, qui reste totalement confondu par la démence de ce jeune fanatique. De son côté, Zhora, qui n'a pas été habituée à tant de jours de privation, s'agace de ce mari insensible, et se méprend sur la manière dont le père Vincenti défend sa cause. Elle finit par lui faire assez ostensiblement des avances, mais en pure perte : le père Vincenti est un jésuite, et comme tous les jésuites, il déteste les femmes. Le cardinal Antonelli s'arrache les cheveux, et cherche en vain une solution. Il finit par admettre que l'important, à cette époque lointaine ou les tests de paternité n'existaient pas encore, c'est que Raphaël reconnaisse l'enfant de Zhora comme le sien, même s'il est d'un autre. Aussi, le mieux est-il de balancer entre les jambes de la marquise - qui ne demande pas mieux - un amant assez adroit pour la féconder. Cet amant va se présenter, mais ce n'est pas vraiment celui que le cardinal espère... Tout comme la relation sulfureuse de la comtesse Léonore de Saint-Gaëtan avec Pie IX, les aventures tragi-comiques de Raphaël de Zuccharèse et de Zhora, son épouse mal assortie, seront au coeur du deuxième tome de cet incroyable roman... « Les Amours Secrètes de Pie IX » démarre sur les chapeaux de roue par un véritable feu d’artifice littéraire d'une imagination délirante et d'une intensité dramatique exceptionnelle, digne des plus grands maîtres du roman populaire, tout en adoptant un ton provocateur et blasphématoire jamais lu auparavant, et bien peu vu par la suite. Le Vatican s'ouvre sous nos yeux comme une Porte de l’Enfer, et tous ceux qui y gravitent ont en eux une part de satanisme pur. Si l’on excepte les femmes, présentées comme de malheureuses victimes - à l’exception notable de la comtesse de San Gaëtan -, tous les personnages sont ici corrompus jusqu’à la moelle, pervers, égoïstes, sadiques, menteurs, tricheurs, et cupides. S’il n’y avait heureusement d’assez nombreuses scènes comiques et des quiproquos grinçants, ce roman serait sans aucun doute la création la plus noire et la plus nihiliste de toute la littérature française. Malgré quelques persistantes erreurs factuelles (Le prénom de Pie IX était Giovanni Maria, et non pas Gian-Maria, comme l'auteur le supposait), quelques phrases bizarrement tournées et d’assez nombreuses fautes de frappe, Léo Taxil impressionne par sa maturité narrative, son sens du rythme, son génie des dialogues, son ironie et son cynisme permanents qui donnent une signification nouvelle à de nombreuses figures imposées du roman-feuilleton, lesquelles se retrouvent ici baignées en permanence dans le scandale et le blasphème. Il faut ajouter aussi que Léo Taxil improvise peu : son plan est évolutif, mais fonctionne selon un organigramme dont Pie IX est le centre de gravité d'où jaillissent toutes les intrigues satellites – et il y en a facilement deux fois plus que celles que je résume ici –, à partir de ses conquêtes féminines volontaires ou involontaires. Ainsi, malgré la multitude de personnages et le grand nombre de rebondissements, le lecteur n’est jamais perdu, et reconstitue, mentalement et avec aisance, le découpage narratif voulu par l’auteur. Léo Taxil est aussi remarquable par l'ironie de son humour glacé, articulé autour d’évidences qui, pourtant, n’en sont pas. Personne, dans ce roman, n’est véritablement surpris que le pape et ses cardinaux aient une vie sexuelle perverse. Selon l’auteur, ce sont tous des hypocrites, donc en ce domaine aussi : c’est logique, non ? Chez Léo Taxil, les plus énormes blasphèmes, les plus redoutables hérésies, ne sont pas assénés avec une brutalité vengeresse, mais exprimés au contraire d’une manière badine, comme s’il n’y avait rien là que de très évident, comme si on pouvait douter légitimement qu’il y ait encore des gens pour supposer que le pape ne soit pas un violeur de petites filles. Cette narration est particulièrement efficace pour installer le lecteur en douceur dans une vision infernale et tourmentée, où toutes les valeurs morales sont inversées, mais où tout cependant semble normal dans l’abjection. Léo Taxil, en réalité, retourne contre le clergé et les jésuites leurs propres méthodes de conversion et de manipulation psychologique. Cependant, malgré une démarche ouvertement parodique et moqueuse, et en dépit de l’immense qualité narrative sur le plan strictement feuilletonesque, « Les Amours Secrètes de Pie IX » représente encore aujourd'hui une lecture particulièrement offensante et choquante pour des personnes croyantes. Bien que l’auteur se soit toujours prétendu simplement anticlérical, c’est en réalité un esprit totalement nihiliste, qui ne croit en absolument rien, pas même en l’être humain. Chacun dans ce roman cherche à tirer la couverture à soi, en riant d’avance de la bonne farce d’en priver les autres. L’amour ? Une névrose sexuelle. L’amitié ? Une solidarité de circonstance. L’honnêteté ? La lubie des imbéciles. La foi ? L’exploitation des naïfs. Le genre humain ? Un tas de pourriture. Cette absence totale d’empathie, d’émotion positive, de paix intérieure, est pour beaucoup dans la subversion féroce d’un roman qui, pour certaines personnes, peut être réellement toxique. Mais paradoxalement, c’est aussi ce qui confère à ce récit une incroyable modernité, voire un caractère prophétique.  Car s’il est ici constamment question de religions, - et au pluriel, puisque selon l’auteur, le Vatican accueillait de très nombreuses communautés religieuses ou laïques -, toute spiritualité est totalement absente. L'appartenance à un culte est ici purement identitaire, et chacune de ces identités ne cherche qu’à dominer, exploiter, infiltrer, voire combattre, les identités voisines. En dépit d’une harmonie de façade, chaque communauté méprise les autres et se répand volontiers en injures ou en propos dévalorisants à leur sujet. Indéniablement, cette névrose communautaire, - alors ouvertement imaginaire, ou tout du moins fort exagérée - résonne de manière terriblement familière en ce début tourmenté de XXIème siècle. Ajoutons aussi que les enlèvements, au début du roman, de Félicità et de Luizza, puis ensuite, celui de Zhora dans le ghetto juif, avec la complicité d’une mafia jésuite, prendront tout leur sens un siècle après la publication de ce roman, avec les disparitions inexpliquées, en 1983, de deux fillettes de 15 ans habitant aux environs immédiats de la Cité vaticane, Emanuela Orlandi et Mirella Gregori, qui n’ont jamais été retrouvées, bien que les implications d’un cardinal et de la mafia aient été démontrées dans leur probable assassinat. Ainsi, « Les Amours Secrètes de Pie IX », dont Léo Taxil ne voulait certainement tirer qu'un prolongement romanesque de son premier pamphlet anticlérical, met à nu de manière extrêmement dérangeante, par le prisme d'une parodie peut-être moins caricaturale qu'on se l'imagine au premier abord, les dérives honteuses et malsaines du christianisme historique. On comprend mieux, en lisant ce roman, qui n'est plus lu depuis un siècle, la violence des réactions qu'il a suscitée lors de sa publication, tant ce portrait acide, cinglant, noirci par une diffamation blasphématoire distillée à chaque page, possède les mêmes propriétés qu'un tirage photographique en négatif : on ne reconnait que trop bien ce qu'il montre malgré tout. { Critique des 3 tomes suivants à venir } Ci-dessous, 40 gravures tirées de ce premier tome, et colorisées à l'aide de l'application Palette :










































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