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PIERRE DECOURCELLE - « Les Deux Gosses [Tome I] » (1880)


Fils du dramaturge Adrien Decourcelle et neveu par alliance du feuilletoniste et homme de théâtre Adolphe D'Ennery, célèbre auteur de la pièce et du roman-feuilleton « Les Deux Orphelines », qui sera également critiqué sur ce blog, Pierre Decourcelle est né et a grandi dans un milieu très littéraire pour lequel néanmoins il ne semble avoir eu qu’une vocation relative, étant plus volontiers intéressé par le monde de la finance. Hélas, pour capitaliser et investir, il faut avoir un budget de départ. N’obtenant rien de plus qu’une chronique quotidienne dans le journal « Le Gaulois », Pierre Decourcelle comprit très vite qu’il ne ferait pas fortune de cette manière là. Aussi entra-t-il en littérature en 1880 avec un véritable plan de carrière, bien décidé à s’imposer dans le registre fort commercial du roman-feuilleton, avec une œuvre mémorable et fédératrice, reprenant un certain nombre de thématiques ayant fait leurs preuves, et cherchant à les exploiter d’une manière nouvelle, à la fois plus visuelle dans sa narration et moins centrée sur la complexité des intrigues. « Les Deux Gosses » sont le fruit de cette magistrale opération littéraire. Ce roman-fleuve avoisinant les 5500 pages, souvent réédité sous des formes abrégées de moitié, voire des deux tiers, fut un remarquable best-seller de la Belle-Époque, plusieurs fois adapté au théâtre et porté à l’écran. Les aventures de Fanfan et Claudinet connurent même un succès remarquable dans les pays latins, et les derniers films qui leur furent consacrés furent tournés au Mexique en 1942 et en Italie en 1951. Ce premier tome est avant tout consacré aux histoires des deux familles, l’une aristocratique et bretonne, l’autre prolétaire et parisienne, où naissent les deux enfants. Il sera très peu question de nos deux héros dans cette première partie, où ils sont encore en bas-âge. L’action se déroule en Bretagne, sous la Monarchie de Juillet. Dans un petit village proche de Brest, le château local est habité par la Comtesse de Kerlor, qui y vit avec son fils Georges, sa fille Carmen, et leur cousine Mariana de Sainclair. Cette dernière, installée au château pour servir de lectrice à la comtesse, tente de séduire Georges, avec lequel elle aimerait s’unir, mais Carmen repère la stratégie de l’intrigante, et lui révèle qu’elle s’opposera à un tel mariage, car l’un des ancêtres des Sinclair, ayant fait fortune aux colonies des Antilles Françaises, y avait épousé une indigène. Ce sang noir, qui coule dans les veines de la brune Mariana choque la blonde et celtique Carmen, qui entend bien, en tant que membre d’une des plus anciennes familles patriciennes bretonnes, privilégier la pureté de la race concernant sa descendance. Furieuse et humiliée, Mariana quitte le château des Kerlor, leur faisant bon visage afin de rester en bons termes avec eux, mais déterminée à se venger le plus cruellement possible de cette famille qui la rejette. Ayant trouvé une occupation comme tutrice du fils du maire du village, elle épouse finalement Paul Vernier, un jeune artiste-peintre local qui s’amourache d’elle après l’avoir sauvée, une nuit, d’un couple de brigands qui venaient de la dévaliser. Mariana n’a en réalité que du mépris pour cet homme à ses pieds, qui en plus n’est qu’un artiste barbouilleur, mais son talent étant réel, elle se dit que cet imbécile pourrait lui ouvrir bien des salons de la haute-société, pourvu qu’elle le guidât suffisamment bien pour en faire une petite célébrité dans sa partie. Paul Vernier a pour meilleur ami Robert d’Alboize, un jeune officier de l’Armée Royale, beau, charismatique, séduisant et droit, mais qui fait le désespoir de toutes les jolies femmes, car passionné par sa vocation militaire et conscient qu’il peut mourir sur n’importe quel champ de bataille, il refuse de se marier. Seule une femme fait battre son cœur, une femme à laquelle il rend périodiquement une visite de courtoisie quand il vient voir son ami Paul : Carmen de Kerlor. L’attirance est bien entendue réciproque, les deux jeunes gens s’aiment sans se l’avouer, mais Robert d’Alboize est inflexible, d’autant plus qu’il est détaché à la cour de Stockholm, et qu’il ne peut renoncer à sa mission sansdevoir quitter l’armée. De son côté, Carmen revoit par hasard Hélène de Penhouët, une ancienne camarade de pensionnat issue comme elle de la très ancienne noblesse bretonne. La jeune femme est depuis peu orpheline, la mort brutale de son père, exploitant industriel au Mexique, ayant entraîné quelques mois plus tard celle de sa mère, restée en Bretagne, mais demeurée alitée et inconsolable. Hélas, cette mère ayant un passé de comédienne, métier considéré comme décadent auprès des grandes familles bretonnes, Hélène ne trouve aucun appui, aucune assistance, aucun bon parti dans toute la Bretagne. Elle en est à songer au suicide quand Carmen, qui n’a jamais douté de sa vertu et de sa morale, décide de ramener Hélène au château de Kerlor pour remplacer Mariana comme lectrice auprès de sa mère. Hélène accepte avec joie et sa nature généreuse, sa candeur virginale, et ses beaux yeux bleus conquièrent rapidement les cœurs de toute la famille, particulièrement celui de Georges, qui en deux mois à peine, tombe fou amoureux de cette délicieuse et si bretonnante Hélène. Malgré les réserves farouches de la comtesse mère, sensible elle aussi aux racontars concernant la défunte comtesse de Penhouët, le très opiniâtre et très caractériel Georges parvient à obtenir la main d’Hélène, qui croit vivre un rêve éveillé. Le fruit de cette union est un beau bébé tout blond et délicat : le futur Fanfan. De son côté, le bonheur de son frère et de sa belle-sœur attisent la mélancolie de Carmen de Kerlor, qui pleure encore le départ de Robert d’Alboize. C’est au final un voisin des Kerlor, le comte Firmin de Saint-Hyrieix, qui fait sa demande officielle à la comtesse mère, laquelle voit d’un très bon œil ce mariage, car Firmin est comte, diplomate, immensément riche et très influent, on ne saurait imaginer un meilleur parti. Dans un premier temps, Carmen refuse : d’abord parce que, même si c’est sans espoir, elle continue d’aimer Robert d’Alboize, et ensuite parce que ce comte de Saint-Hyrieix est un homme âgé, en milieu de quarantaine, et d’un physique sans attrait. Parce que sa mère semble tenir à ce mariage et qu’il est difficile d’expliquer pourquoi elle devrait refuser un aussi bon parti, Carmen accepte, résignée, la demande en mariage de Firmin de Saint-Hyrieix. Hélas, ce mariage est loin d’être aussi réussi que celui de Georges et d’Hélène : Firmin de Saint-Hyrieix est un fat, un arriviste qui ne songe qu’à multiplier ses hautes relations pour se faire nommer ambassadeur. Carmen réalise qu’il n’a demandé sa main que par caprice, tant toute sa vie se résume à solliciter des faveurs. Le voyage de noces qu’ils entament se transforme vite en tournée européenne des ambassades, où la jeune Carmen ne sert que de ravissant faire-valoir à son mari. Très vite, le couple fait chambre à part. Firmin ne s’intéresse à rien de ce qui est intime, il ne songe qu’à sa carrière. Cette tournée passe nécessairement par Stockholm, où Saint-Hyrieix entend bien se mettre quelques personnalités dans la poche, dont son compatriote Robert d’Alboize, qu’il embarque avec lui durant tout leur séjour, ignorant tout des sentiments secrets qui unissent ce dernier à son épouse. Ne voulant plus se revoir, Robert et Carmen se retrouvent néanmoins obligés de se fréquenter quasi-quotidiennement, pour la plus grande joie de Saint-Hyrieix, bien content d’avoir enfin trouvé une personne de confiance qui semble sympathique aux yeux de sa peu mondaine épouse. D’Alboize et Saint-Hyrieix achevant, par le plus grand des hasards, leurs missions respectives le même jour, ils décident de rentrer tous ensemble en Bretagne sur le même navire. Mais alors qu’ils approchent nuitamment de leur destination, un autre bateau, tous feux éteints, défonce le navire, qui se coupe en deux, envoyant tous ses passagers dans l’eau glacée qui entoure la péninsule bretonne. Alors qu’elle est en train de se noyer dans ces eaux tumultueuses, Carmen de Kerlor est sauvée in extrémis par Robert d’Alboize qui parvient à la ramener sur la rive déserte d’une petite crique abandonnée. Tous deux transfigurés par la mort horrible auxquels ils viennent d’échapper, Robert et Carmen s’embrassent, et saisis d’un même vertige, font passionnément l’amour sur le sable humide. Pendant ce temps, quelques centaines de mètres plus loin, Georges de Kerlor, réquisitionné pour venir en aide aux naufragés, sauve de justesse la vie de Firmin de Saint-Hyrieix, dont le corps inconscient s’est échoué dans une grotte. Bientôt, tout ce petit monde se retrouve, frissonnant mais en vie, au château de Kerlor. Tout pourrait s’arrêter sur cette fin heureuse, sauf que… Carmen tombe enceinte, suite à son étreinte sur la plage. Une grossesse difficile à expliquer à un mari qui ne l’a pas encore honorée… Elle finit par s’en ouvrir à Hélène, qui lui conseille d’accoucher en cachette et de confier le nouveau né à une nourrice discrète. De son côté, Robert d’Alboize, informé aussi par Carmen de son état, assume pleinement ses responsabilités, s’avoue plutôt heureux que cet enfant lui donne enfin le courage de mettre fin à sa carrière militaire, et propose à Carmen de s’enfuir le plus loin possible avec lui. Hélas, choisir l’amour, c’est choisir le scandale, mais entretenir un bâtard en secret, c’est aussi cultiver un scandale en puissance si jamais cela s’apprend - et comment cela ne s'apprendrait-il pas dans un petit village ? Ce choix cornélien tourmente quotidiennement Carmen qui perd sa bonne humeur à la perspective de l’épreuve qui l’attend. Saint-Hyrieix ne remarque pas l’air ténébreux de sa femme, mais Mariana, lors d’une visite de courtoisie, s’en rend parfaitement compte et soupçonne un secret qu’elle décide d’apprendre, croyant tenir là de quoi se venger durablement des Kerlor… Parallèlement à ces intrigues aristocratiques, l’auteur s’attarde sur le couple de brigands qui, peu après sa fuite du château, avait dévalisé Mariana. Eusèbe, dit "La Limace", et sa compagne Zéphyrine, une obèse à moitié débile, sont deux petits voyous parisiens, à la recherche de mauvais coups à faire en Bretagne, suite à une rafle massive dans la capitale à laquelle ils ont échappé de justesse. Néanmoins, les opportunités sont rares, et Zéphyrine propose de retourner à Paris, en se cachant chez sa sœur, Rose Fouilloux, une tireuse de cartes qu’elle suppose immensément riche. Rose Fouilloux est en effet une voyante, mais une voyante honnête, qui n’a que du mépris pour sa petite sœur délinquante. Rose est installée maritalement avec un pompier, François Champagne, dont elle vient d'avoir un enfant : le futur Claudinet. Le couple vit de manière assez bourgeoise, du fait que tous les deux gagnent un bon salaire, mais un soir, alors que François tente de récupérer dans un immeuble en feu la poupée d’une petite fille qu’il vient d’arracher aux flammes, le balcon, sur lequel il s’était perché, s’écroule sous lui et le courageux pompier chute de plusieurs étages. Après quelques semaines à lutter contre la mort, il décède brutalement à l'hôpital, laissant Rose malade d’une pleurésie, seule avec son enfant et à demi-ruinée, du fait qu’elle n’était pas encore mariée avec François et ne peut toucher une pension de l’État. Pour noyer son chagrin et calmer sa douleur pulmonaire, Rose sombre dans l’alcoolisme. C’est ainsi que la découvrent Eusèbe et Zéphyrine quand ils s’invitent chez elle. Ils comprennent vite que la jeune femme est en train de se tuer à petit feu. Jouant les bons samaritains, ils la gavent d’absinthe pour accélérer son trépas, mais cela ne leur suffit pas. Ils veulent se débarrasser de la femme et de son enfant, pour récupérer sa maison et sa fortune. Seulement, si Eusèbe et sa compagne sont volontiers des voleurs et des escrocs, ils n’ont pas le cran de devenir des assassins. C’est alors que, par le plus grand des hasards, en trainant dans Paris, Eusèbe recroise un ancien membre de sa bande, Mulot, un Hercule de foire tombé dans le crime, un mastodonte de près de deux mètres qui n’en est pas à son premier meurtre. Ensemble, ils vont planifier l’assassinat discret et sans témoins de Rose Fouilloux et de son enfant… Ce premier tome des « Deux Gosses » frappe par son intense fluidité, l’auteur parvenant avec une narration très vive à installer une intrigue réunissant, de manière encore ténue, quatre couples très différents, aisément identifiables, aux caractères marqués malgré une psychologie quelque peu binaire, mais c’est là un défaut propre à ce genre littéraire. Impossible de s’ennuyer tout au long de ces 1087 pages, agrémentées de quelques gravures. La narration feutrée et romantique des familles aristocratiques voisine une plongée naturaliste et âpre dans le milieu prolétaire et criminel : Delly y voisine étonnamment bien avec Eugène Sue, même si cela implique des transitions parfois un peu brutales d’un chapitre à l’autre. En tout cas, on est immédiatement conquis et on veut ardemment connaître la suite… LES DEUX GOSSES (Critiques et Résumés) : Tome 2 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-ii-1880 Tome 3 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-iii-1880 Tome 4 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-iv-1880 Tome 5 : https://www.mortefontaine.org/post/pierre-decourcelle-les-deux-gosses-tome-v-1880

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