HENRI DE LA BLANCHÈRE - « Sous Les Eaux » (1879)
- Dorian Brumerive
- 11 oct.
- 9 min de lecture

Pierre Moulin du Coudray de la Blanchère fut l'un des derniers représentants d'une ancienne grande famille des pays de la Loire, et qui fut contemporain de Marie-René Coudray de la Blanchère, avec lequel il était indirectement apparenté, et qui fut un célèbre archéologue.
Naturaliste de profession, ce sarthois consacra sa vie à la nature, pour laquelle il fut pris dès l'enfance d'un très grand intérêt. D'abord, garde-forestier, il conçut rapidement une passion dévorante pour les poissons de mer et de rivière.
On ne ne le pense pas au premier abord, mais c'était une passion fort difficile à mener au XIXème siècle : aucune technologie ne permettait alors d'étudier le poisson dans son habitat naturel. Il fallait donc obligatoirement le pêcher pour pouvoir le regarder de près. Il n'était pas possible de l'élever, - ni les poissons de mer, ni les poissons de nos rivières ne peuvent survivre en aquarium, - on pouvait juste le disséquer, éventuellement le représenter en gravure quand on était doué en dessin, mais il était difficile par exemple de le peindre, l'exécution d'un tableau prenant généralement plus de temps qu'il n'en faut au cadavre d'un poisson pour se décomposer.
C'est la raison pour laquelle la passion du poisson amena Pierre Moulin du Coudray de la Blanchère à cultiver une toute autre passion, celle d'une technologie encore balbutiante qui apparaît à la fin des années 1830 : la photographie.
Le daguerréotype et les premiers appareils photos sont des appareils révolutionnaires, mais dont le temps d'exposition, qui peut prendre jusqu'une demi-heure, ne permet encore que de fixer des objets totalement immobiles. C'est pour ça que les toutes premières photographies, prises dans les années 1840-1850 ne montrent souvent que des paysages fixes ou des rues désertes. Rien de ce qui bouge n'imprime la pellicule, pas même les arbres quand le vent passe dans leur feuillage.
Le célèbre Nicéphore Nièpce parvient à créer un appareil révolutionnaire qui ne demandait qu'une dizaine de minutes d'exposition, mais c'était un appareil fort lourd, non transportable, qui ne lui permit que de prendre une vue de sa fenêtre, donnant sur le très fréquenté boulevard du Temple.
Cependant même dix ou douze minutes, c'est trop long pour saisir la foule qui marche sur les trottoirs; aussi cette première photo est-elle, bien involontairement, une photo "truquée", montrant un quartier bondé comme s'il s'agissait d'une ville fantôme - à l'exception de deux silhouettes ombrées, en bas à gauche, celles d'un cireur de chaussures et de son client. L'un des deux hommes devait raconter à l'autre quelque chose d'assez long, ce qui les a fait rester durant dix minutes dans une relative immobilité. Ils ne l'ont jamais su, mais ils ont été les deux premiers hommes au monde à apparaître sur une photographie.

Cependant, cet inconvénient du temps de pose ne tourmenta guère Pierre Moulin du Coudray de la Blanchère. Lui voit déjà un prodige dans cette invention : elle permet de fixer pour la postérité l'image véritable d'un poisson mort.
C'est donc bien décidé à tout apprendre de la photographie que Pierre Moulin du Coudray de la Blanchère monta à Paris et devint un assistant de Gustave Le Gray, un peintre converti au daguerréotype et qui découvrit en 1850 le procédé dit du négatif sur verre au collodion humide, un système qui permet une bien plus grande finesse d'image et des nuances de gris plus nombreuses que le daguerréotype. Ce système photographique sera le plus répandu jusque dans les années 1880.
C'est sa propre conversion à cette technologie photographique qui va amener Pierre Moulin du Coudray de la Blanchère vers l'écriture. De 1857 à 1866, sous le pseudonyme plus court d'Henri de la Blanchère, il publia une dizaine d'ouvrages consacrés à la photographie. Ensuite, de 1866 à sa mort, en 1880, il publia une trentaine d'ouvrages animaliers illustrés par ses photographies, tout en écrivant des contes pédagogiques pour enfants dans des journaux, qui seront édités en volume de manière posthume.
C'est seulement en 1879 qu'il se lance dans une aventure nouvelle : le roman pour la jeunesse. Bien qu'il ne lui reste alors plus qu'un an à vivre, il en publie au moins trois pour le compte de l'éditeur Théodore Lefèvre & Cie, dans sa très belle collection de petits livres en reliure rouge et or, avec pages dorées à l'or fin, qui sont aujourd'hui devenus très rares, mais parmi lesques on trouve des oeuvres remarquables et très novatrices, dont celles de Louis Bailleul, Albert Laporte et Thomas Mayne-Reid.
Initialement publié en 1879, bien qu'il existe plusieurs réimpressions non datées durant les années qui suivent, « Sous Les Eaux » est à la fois le premier véritable roman signé Henri de la Blanchère, et son livre le plus audacieux et le plus visionnaire, bien qu'il témoigne aussi de toutes les inévitables faiblesses d'un pédagogue qui s'essaye pour la première fois à la narration.
Souvent décrit comme un roman à la manière de Jules Verne, « Sous Les Eaux » est en fait une oeuvre bien plus complexe, qui témoigne, par ses dialogues lapidaires, par ses scènes d'actions musclées et par son intrigue tortueuse, d'influences bien plus anglo-saxonnes, probablement celles de James Fennimore Cooper, Edgar Allan Poe, et/ou d'auteurs français qui s'en sont inspirés, comme Eugène Sue (dans ses premiers romans d'aventures maritimes) ou Gustave Aimard.
Contrairement à Jules Verne d'ailleurs, Henri de Blanchère ne semble pas avoir écrit son récit avec un souci de juste équilibre entre le narratif et le pédagogique. Il semble avoir déjà rédigé une intrigue de base, qui doit faire une centaine de pages, puis y a inséré après coup, quand cela se justifiait, des passages d'inspiration scientifique et naturaliste, visant à expliciter tel ou tel contexte, et qui vampirisent le récit au point de l'étouffer rapidement, d'autant plus que l'auteur n'écrit pas de la même façon ses passages narratifs, peu personnels et très inspirés d'autres auteurs, et ses passages pédagogiques, extrêmement soignés, et souvent poétiques.
À ce collage déjà bien hétéroclite, Henri de la Blanchère ajoute, dans la deuxième partie de son roman, des extrapolations scientifiques et futuristes, aussi délirantes que mégalomanes, qui le font définitivement s'éloigner des méthodes toujours très rationnelles de Jules Verne. Ceci pour expliquer que cet ouvrage est quand même très lointainement inspiré de Jules Verne, et soumis à bien d'autres influences.
Le sujet principal de « Sous Les Eaux » , c'est ce qu'on appelait le scaphandre à casque, une invention qui n'était pas toute neuve en 1879, mais qui a sans doute eu le don de faire longtemps rêver cet amoureux des poissons qu'était Pierre Moulin du Coudray de la Blanchère.
A-t-il plongé lui-même ? C'est très peu probable, surtout au vu de ce dont il témoigne dans son roman. La version primitive, dite "de Cabirol", car on la doit à un inventeur du nom de Joseph-Martin Cabirol, était excessivement lourde à porter, notamment de par les semelles de plomb qu'il fallait chausser aux pieds, et aussi à cause de ce gigantesque casque métallique qui pesait également très lourd sur les épaules, même sous l'eau. Les scaphandriers étaient des hommes d'une certaine stature, et d'une excellente condition physique. On ne pouvait pas "tester" la plongée en scaphandre, comme on peut de nos jours s'initier à la plongée sous marine en tenue d'homme-grenouille. Il fallait une très longue formation, et il y avait une limite d'âge.
Par ailleurs, le scaphandre de Cabirol, s'il s'allégea au fil des années, eut une assez longue carrière, pratiquement jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale. Il n'y avait pas lieu en 1879 de supposer que le modèle pouvait être amélioré, mais simplement, selon Henri de Blanchère, il pouvait ouvrir des perspectives insoupçonnées de colonisation et d'exploitation des fonds-sous marins.
Passons rapidement sur l'intrigue de ce roman, qui est assez confuse, mais qui sert surtout de prétexte à extrapoler autour de l'usage du scaphandre. Aux Etats-Unis, un immense savant, Stephen-Melchior Anson-Faragus meurt brutalement, laissant un testament à ces cinq fils, un testament qui tient d'ailleurs bien plus d'un programme entrepreunerial, visant à développer ce qui fut l'invention de sa vie : le "Faragus-Diver".
Ce scaphandre, qu'il mis au point dans les années 1860, est taillé dans des matériaux plus souples, et peut atteindre de plus grandes profondeurs. On peut également remplacer son tuyau d'arrivée d'air par un "recycleur d'air" permettant d'emmagaziner une quantité d'oxygène que l'on peut ensuite débarrasser de son gaz carbonique et de ses impuretés une fois qu'il a été expiré, ce qui permet évidemment plus de mobilité au scaphandrier.
Le vieux pacha ordonne à ses fils de le tester et de le fabriquer à grande-échelle, pour exploiter les minerais sous-marins (pierres précieuses, métaux précieux, charbon) et construire ainsi un empire industriel autour du nom de Feragus.
Quatre des fils du patriarche vont s'investir avec succès dans cette entreprise. Le cinquième, Abraham Anson-Moore, qui n'est que leur demi-frère et vit plus marginalement, annonce qu'il n'est pas intéressé, et leur abandonne sa part. En réalité, il surveille de très près la réussite de ses frères, puis entreprend de les assassiner les uns après les autres, tâche facile à réaliser vu qu'il suffit de saboter leurs "Feragus-Divers" pour que leur mort par noyade semble accidentelle.
Si Abraham veut s'emparer de la fortune de ses frères, c'est qu'il caresse lui-même un projet tout à fait personnel, visant à faire de lui le plus grand industriel de l'Histoire. Pour lui, l'exploitation du minerai sous-marin est un bon moyen de s'enrichir, mais ça n'a aucun caractère novateur. Il s'agit juste de faire sous l'eau ce que l'on faisait sur terre.
Abraham Anson-Moore, lui, veut utiliser la fortune de la maison Feragus pour construire des tunnels sous-marins, des tunnels à travers les montagnes, et des gigantesques ponts pour relier tous le spays et les continents entre eux. Le "Feragus-Diver" devra équiper des ouvriers qui travailleront dans les grands fonds des océans, soit pour construire des tunnels sous marins, soit pour y implanter les piliers de gigantesques arches qui remonteront jusqu'à la surface de la mer et sur lesquelles on bâtira des ponts gigantesques qui traverseront des bras de mer, ou même des océans.
Comme on s'en doute, le projet d'Abraham n'ira pas jusqu'au bout, et les quelques frères survivants le poursuivront, alors qu'il tente de s'échapper en plongée. Le lecteur assistera à une belle bagarre de scaphandriers, qui se terminera tragiquement alors que, une centaine de mètres plus haut, un chalutier en pleine pêche ramasse tous les survivants de la famille Anson-Feragus dans son chalut, les condamnant collectivement à une noyade atroce.
La position morale d'Henri de la Blanchère est assez ambigüe, car si le personnage d'Abraham Anson-Moore est clairement le "méchant" de l'Histoire, il en est aussi le principal héros, et l'auteur ne dissimule pas l'intérêt profond que lui inspire ce projet révolutionnaire des transports, et sa volonté « de créer des isthmes là où il y a des détroits, et des détroits là où il y a des isthmes ».
Pourtant, quasiment un siècle et demi plus tard, la naïveté confondante de cette rêverie, venue d'un temps où l'avion n'existait pas encore, se fait douloureusement sentir, bien que paradoxalement, il y a exprimées dans ce petit roman quelques idées prophétiques qui se sont finalement réalisées ou dont on parle encore, comme celle du tunnel sous la Manche (évoquée au milieu d'autres idées de tunnel entre des pays voisins, mais jugée curieusement non-rentable par l'auteur), celle du tunnel sous l'Atlantique, récemment évoquée par Elon Musk, et celle d'un prototype de pont qui annonce les ponts suspendus du XXème siècle, même s'ils se sont contentés de passer au-dessus d'un fleuve, et non d'un bras de mer ou à travers une chaîne montagneuse, comme il en était question dans ce roman.
Au final, ce qui est le plus passionnant, et le plus émouvant dans « Sous Les Eaux », ce sont les longues descriptions de plongées, à la fois poétiques et oniriques, où Henri de la Blanchère nous offre une vision très personnelle, très baroque, des fonds marins, évoquant presque davantage celle d'un cosmonaute sur une planète peuplée d'extraterrestres. Les fonds marins étaient alors encore largement inexplorés, et Henri de Blanchère, qui n'en avait sans doute rien vu lui-même , nous en donne une vision fantasmée, un peu effrayante, peuplée de pieuvres géantes agressives et de crabes de trois mètres, où des épaves gardent, dans leur dernier sommeil, des noyés dont les corps ne se dégradent pas et se momifient sous les eaux.
Ce sont ces passages-là, relevant de ce que l'on appelle aujourd'hui le « Merveilleux Scientifique » qui demeurent de loin les plus passionnants. Henri de la Blanchère a sans doute eu le tort de vouloir mettre trop d'éléments différents dans un roman d'à peine 262 pages, lequel s'éparpille dans toutes les directions sans jamais arriver nulle part.
Mais à défaut d'être pleinement réussi, « Sous Les Eaux » reste plaisant à lire, car il a le mérite d'avoir fixé l'imaginaire scientifique du tout début de la Belle-Époque; un imaginaire qui pressentait, sans forcément en deviner la forme, le grand bouleversement des transports qu'allait connaître le XXème siècle.
14 gravures originales, colorisées avec l'application Palette.
























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